Il ne dit pas ...
Fr J.Rousse-Lacordaire op
10 septembre 2010
Peut-être, pour mieux comprendre cet apologue de la paille et de la poutre, pas si simple qu’il en a l’air, nous faut-il commencer par préciser ce qu’il ne dit pas.
Il ne dit pas que la paille dans l’œil du prochain n’existe pas ou que la poutre empêche de la repérer. La paille est bien là et nous la voyons ; et nous n’avons pas faire comme si nous ne la voyions pas
Il ne dit pas qu’il ne faut pas confondre le fautif avec sa faute, car il est inutile de le dire, puisque cela est présupposé, dès lors qu’il est bien dit que la paille et la poutre peuvent être enlevées.
Il ne dit pas qu’il ne faut en aucun cas chercher à corriger son prochain de ses fautes ou de ses défauts ; bien au contraire, il invite expressément à le faire.
Ce qu’il dit, c’est d’abord que la correction doit commencer par s’exercer sur soi-même, c’est-à-dire que la prudence, la justice et la justesse veulent que nous examinions nous-mêmes avant toute tentative d’intervention sur autrui, que ce n’est que lorsque nous aurons la vue claire et débarrassée de ce qui l’encombre que nous serons capables de dégager la vue des autres, sans cela, au lieu de guérir, nous avons toutes les chances de blesser davantage encore. Comme le disait le cinéaste japonais Kenji Mizoguchi : « Il faudrait se laver les yeux entre chaque regard. » Mais on ne peut pas se laver soi-même les yeux entre chaque regard, d’autant que si notre poutre nous empêche d’enlever la paille d’autrui, à plus forte raison nous empêchera-t-elle de l’enlever elle-même et même, probablement, de la voir.
Alors, faut-il se résoudre à la poutre et à la paille, à notre mal et à celui des autres ? Certes non, car, ainsi que nous le dit Jésus un peu plus haut, nous serons mesurés de la mesure dont nous mesurons. Il en est donc bien un qui peut mesurer toute chose, car il est « la mesure sans mesure d’où vient toute mesure », ainsi que le disait saint Augustin. Celui-là, nous le savons, « si notre cœur nous accuse […] est plus grand que notre cœur », et Il nous lave les yeux et il nous donne parfois de laver ceux des autres, si nous le laissons nous laver les yeux entre chaque regard et nous élargir le cœur sans mesure.