11ème Dimanche du TO - B
Fr Christophe Boureux op
14 juin 2015
Marc 4, 26-34
« Il en est du Royaume comme d’un homme qui plante ». Les deux textes en écho de ce dimanche tirés du livre d’Ezéchiel et de l’évangile de Marc, nous présentent le Royaume de Dieu comme une histoire de jardin. C’est assez normal : toute l’histoire de la foi a commencé au paradis, dans le jardin d’Eden. Pour nous chrétien, notre histoire de Dieu, nos histoires de Dieu ont connu un « remake » au jardin du matin de Pâques, lorsque Marie Madeleine, prend le Christ pour le jardinier. Nous allons de jardin en jardin, jusqu’au terme, ce jardin « euphémisé », urbain, de la Jérusalem céleste, où nous mangerons les fruits de l’arbre de vie qui donnent douze récolte par an.
Dans ses paraboles, Jésus utilise beaucoup de comparaison agricole : il se compare à un bon berger, c’est-à-dire compétent, à un vigneron, à un moissonneur, ici à un semeur. On disait de lui : il est le fils du charpentier. Pourtant Jésus n’utilise jamais de comparaison tiré du travail du bois d’œuvre : ni mortaise, ni queue d’aronde ou pied de table, ni rabots ni scie, ni copeaux dans ses paraboles. On voit que Jésus est l’homme des conversions, des « reconversions » professionnelles. Sa prédication du Royaume s’adapte à ses auditeurs galiléens, des paysans ou des pécheurs, des hommes de la terre qui savent bien ce que sont que les forces irrationnelles de la vie.
Jésus annonce le Royaume de Dieu : pour lui c’est un phénomène de croissance, de vitalité. « La semence germe de jour comme de nuit », le Royaume se présente de différentes manières, il est dans ce qui passe de la graine jetée en terre, à l’herbe qui verdit, puis dans l’épi, puis dans le blé que l’on moissonne, que l’on réduit en farine. Le Royaume n’est ni la graine seule, ni l’herbe seule, ni l’épi seul, mais ce qui les relie, ce qui passe à travers eux, par eux. Le Royaume est en en eux, par eux.
De même, dans la parabole de la graine de moutarde qui devient comme un arbre dans lequel les oiseux viennent nicher, la pointe de la parabole n’est pas dans « le différentiel » entre le produit de départ et celui d’arrivée. Jésus ne nous présente pas le Royaume comme un banquier ferait l’éloge de la rentabilité d’un produit (financier) entre un investissement minimum et un rendement maximum. L’important n’est pas la grandeur de la plante pour elle-même, mais sa grande capacité à accueillir les oiseaux du ciel.
On voit donc que Jésus affine ce qu’Ezéchiel avait perçu du Royaume qui vient : « Je prends la pointe du Cèdre altier, j’en fais une bouture, et je la replante. Elle deviendra à son tour un grand Cèdre dans lequel les oiseaux viendront faire leur nid ». Ezéchiel insiste pour nous dire que le Royaume de Dieu, c’est le Royaume de Dieu, c’est lui qui l’instaure, ce n’est pas nous.
Ce n’est même pas nous qui décidons qui y prendra place ou pas : ce sont les oiseaux du ciel qui viennent d’eux-mêmes y demeurer : sous-entendu, ce sont aussi les non-juifs, les gens d’ailleurs. Le Royaume de Dieu n’est pas établi par les hommes, mais pour eux.
On retrouve cette opposition entre les forts, les puissants, les altiers, et les petits, les humbles dans le Magnificat de Marie. Dieu fait tout pour son Royaume : il renverse les puissants de leur trône et il élève les humbles. Il terrasse les tyrans, petits et grands, qui ont toujours raison, et il élève les humbles, petits et grands, qui ont toujours confiance.
Le Royaume, nous dit Jésus, n’est ni dans la gloire et le triomphe visible des grands de ce monde, ni dans l’enfouissement caché des petits de ce monde. Le Royaume est dans les interstices, entre les deux. Il est dans la fécondité de l’insuffisance, dans le manque de suffisance des humbles et dans le service actif des forts.
Dépassant sans cesse le risque des oppositions tranchées entre les forts et les faibles, les grands et les petits, le visible et l’invisible, Jésus nous montre que le Royaume de Dieu s’établit là où nous lui laissons un peu de place dans nos vies, dans nos décisions, dans nos entreprises, dans nos familles. Le Royaume advient comme l’herbe entre les pavées, comme l’ailante (Ailantus altissima, un mot malais, arbre qui monte au ciel) qui pousse entre le bitume et le béton de nos ronds-points.
Le Royaume vient nous surprendre par sa vitalité, il s’insinue dans les interstices des choses fixées, figées. Le Royaume est une histoire, un film dont nous sommes les acteurs : on est toujours tenté de faire un arrêt sur image, mais le film n’est pas dans les images, il est entre les images. Jésus ne cesse de nous dire : cherchez le Royaume et le reste vous sera donné par surcroit. Lui l’image parfaite de Dieu nous dit comme à Marie Madeleine au jardin : ne me retiens pas, ne fixe pas l’image, mais regarde l’image et la ressemblance dans ton frère qui est là devant toi, qui surgit comme un oiseau dans les arbres du grand arbre.