14ème Dimanche TO - A
Fr Philippe Dockwiller op
5 juillet 2015
Marc 6,1-6
Quand trop en savoir empêche de connaître. Un titre éloquent pour cet épisode lu en Marc ce dimanche. Jésus vient chez les siens. Et les siens ne le reçoivent pas pour ce qu’il est. « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté, sa maison. »
Parce que dès que nous sommes habitués nous oublions d’avoir les égards qui conviennent, nous manquons la grâce : un dominicain habitué à ses frères en communauté, une moniale à ses sœurs en clôture, sans doute. Et pour ce que je vois, surtout dans les familles qui explosent en vol, après dix ans, vingt ans de mariage, un, deux, trois ou cinq enfants : maltraitance des uns sur les autres, chocs souvent d’une violence indescriptible qui ne peut se déployer que par manque d’égards, de bonté.
Dans ce paradoxe où parce que je sais, je possède, je dispose. Alors qu’en réalité, j’ignore l’essentiel. Et mon comportement le manifeste. Comme si nous disposions des êtres avec qui nous vivons au quotidien. Jésus est très clair sur ce point : lorsque sa mère et ses frères réclament à le voir, il annonce la couleur : « quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. » (Mc 3,35) La communauté de vie, la famille sont ici requalifiées. Et c’est très important qu’elles soient placées en leur juste lieu, ni trop près, ni trop loin, hors des abus. Pour ne pas tomber dans la maltraitance qui nous fait disposer des autres parce qu’ils vivent avec nous, nous devrions envers Jésus tenir une double attitude : la sainte ignorance et la contemplation de l’œuvre du Père.
La sainte ignorance de qui est réellement la personne avec qui je vis chaque jour. J’ai beau la fréquenter, l’observer du coin de l’oeil, l’écouter, lui parler, je ne la connais pas. Bien sûr, il ne s’agit pas d’être dupes, de ne pas voir. Il faut juste reconnaître que ce que nous voyons n’est pas encore la réalité personnelle de celui, de celle qui est là : mon fils, ma fille, mon frère, ma sœur, mon père, ma mère, mon époux, mon épouse, mon familier, mon intime, mon prochain. Cultiver la vision binoculaire, voir la perspective : décider d’être ignorant d’un savoir qui peut tuer. Vouloir contempler ce que Dieu nous donne, dans sa lumière à Lui. En définitive, il faudrait ne pas prétendre voir ce qui est sous nos yeux, et regarder ce qui justement est invisible. On appelle cela : la foi.
Les concitoyens de Jésus ont vu ses mains ; et ils ont du mal à croire que ces mains de charpentier accomplissent les signes du Royaume de Dieu. Ils savent qu’elles sont habiles pour le bois, réparer les roues faussées, fabriquer les objets du quotidien. Comment ces mains d’artisan réveilleraient-elles les morts et purifieraient les lépreux ? Bien sûr « il ne put accomplir aucun miracle au milieu d’eux. Il guérit toutefois quelques malades. »
Nous qui sommes rassemblés dans l’eucharistie du Seigneur, nous allons voir du pain et du vin. Avec les yeux de la foi, nous reconnaîtrons justement celui dont le mystère est entier, le Christ Seigneur, Jésus. Comment voir le mystère caché sous le voile de la chair, si nous ne regardons pas selon Dieu, selon la volonté du Père ? Comment goûter la présence du Seigneur, si nous décidons que nous savons déjà qui il est ? Ce que ses mains peuvent ou ne peuvent pas pour nous. Non, nous sommes ignorants, d’une sainte ignorance, nous n’avons pas à décider de son être, ni de son œuvre. Lui qui peut faire de nos mains, et de nos vies, même sous l’emprise du péché, un signe de son règne, nous ignorons jusqu’où s’étend son œuvre. Bien au-delà des limites de nos savoirs. Par delà toutes nos sagesses. Dans l’immensité de l’Esprit de Dieu. Etiam peccata. Même les péchés, écrivait saint Augustin pour dire ce que Dieu peut transformer à Son avantage et pour notre salut. Même les péchés ! Et c’est heureux.
Nous pouvons contempler, regarder dans la lumière de la foi. Et ce qui est vrai de sa chair et de son sang, que nous devenons nous aussi en communiant – je ne sais pas vraiment qui tu es, je puis donc te rencontrer et apprendre de toi – puissions-nous le tenir pour vrai de chaque homme, de chaque femme, de chaque être en ce monde.