32ème Dimanche du TO - B
Fr Luc Devillers op
8 novembre 2015
Marc 12,38-44
Ordinaire : le dialogue entre un scribe et Jésus à propos du premier commandement. Or, la scène d’aujourd’hui présente les scribes d’une tout autre façon. Et pour mieux saisir ce contraste, il nous faut élargir encore l’horizon, et considérer les épisodes précédents.
Nous sommes vers la fin de l’évangile. Entré dans Jérusalem, Jésus a chassé les vendeurs du Temple (Mc 11,15-19). Comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase, ce geste violent suscite l’hostilité des autorités : « Apprenant cela, les grands prêtres et les scribes cherchaient comment le faire périr » (Mc 11,18). À partir de ce moment, Jésus est confronté à divers interlocuteurs qui le regardent de travers. Il y a tout d’abord les « grands prêtres, scribes et anciens » (Mc 11,27-28), qui veulent savoir de quel droit il a agi ainsi. Mais Jésus leur pose à son tour une colle : d’où vient le baptême conféré par Jean, des hommes ou de Dieu ? Ses interlocuteurs déclarent l’ignorer, et Jésus en profite pour refuser de leur répondre sur son autorité. Puis il leur raconte la parabole des vignerons homicides (Mc 12,1-11), par laquelle, bien entendu, ils se sentent visés (Mc 12,12). Du coup, ils envoient auprès de Jésus « des pharisiens et des partisans d’Hérode pour lui tendre un piège en le faisant parler » (Mc 12,13). C’est alors la question de l’impôt à César (Mc 12,14-17). Et dès que ces nouveaux interlocuteurs ont à leur tour perdu la manche, voici les sadducéens qui entrent en scène : ils posent à Jésus la question piège de la résurrection, avec l’histoire de la femme aux sept maris successifs (Mc 12,18-27). On a l’impression que tout le gratin d’Israël passe devant Jésus, de corporation en confrérie, pour essayer de le prendre en faute ! Et même si Jésus s’en sort plutôt bien, l’étau se resserre inexorablement autour de lui. L’ombre de la croix se fait plus menaçante, et va bientôt recouvrir tout l’horizon.
Cependant, un bref pan de ciel bleu apparaît soudainement : la discussion entre le scribe et Jésus sur le premier commandement de la Tora (Mc 12,28-34), ce fameux évangile que nous n’avons pas entendu dimanche dernier ! Marc dit que le scribe « avait entendu la discussion [avec les sadducéens], et remarqué que Jésus avait bien répondu » (Mc 12,28). Pour une fois, voilà un scribe qui dialogue sereinement avec lui à propos du cœur de la foi juive ! Non seulement il approuve la réponse de Jésus, qui rapporte en détail le commandement de l’amour de Dieu et son double au sujet du prochain (Mc 12,29-33), mais il en recevra même des éloges inhabituels : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu », s’entend-il dire par Jésus (Mc 12,34). On le voit, pour Marc comme pour les autres évangélistes, toutes les autorités juives ne sont pas des adversaires de Jésus. Ce scribe a sa place aux côtés des pharisiens qui invitent Jésus à leur table (Lc 7,36 ; 11,37 ; 14,1) ; de Joseph d’Arimathie, disciple secret de Jésus (Jn 19,38) ; de Nicodème, qui lui fait des obsèques royales (Jn 19,39-42) ; et de Gamaliel, dont les Actes soulignent l’attitude prudente à l’égard du mouvement de Jésus (Ac 6,34-39).
Mais ce bon scribe, la Toussaint nous l’a volé…, je veux dire qu’il a dû profiter de la fête pour entrer dans le Royaume de Dieu, puisque Jésus l’en déclarait si proche ! Et, dans l’évangile de ce matin, d’autres scribes reprennent leurs vilaines manières : Jésus nous met en garde contre ceux d’entre eux qui se donnent en spectacle, à coup de longues robes et d’effets de manche. La mise en garde reste valable, même au sein de notre Église, et de notre Ordre en état de jubilé ! En fait, la seule pratique religieuse qui compte pour Jésus, c’est celle du double commandement d’amour dont il avait parlé avec le bon scribe : se donner totalement par amour à ce Dieu qui nous aime totalement, qui en nous livrant son Fils nous a donné son TOUT.
Or, juste après cette mise en garde, Jésus a les yeux attirés par une scène qui se déroule au Temple. Avec ostentation, des riches jettent beaucoup d’argent dans le tronc du Trésor : autre façon d’en mettre plein la vue ! Mais une pauvre veuve, lointaine cousine de la païenne de Sarepta qui accueillit chez elle le prophète Élie, y dépose deux piécettes : nouveau pan de ciel bleu ! Avec ce « trois fois rien », elle a donné TOUT ce qu’elle avait pour vivre : TOUTE sa vie remise à Dieu en un seul geste, avec la confiance des pauvres. Pour le dire, saint Marc emploie le même adjectif grec holos (TOUT) qui exprime comment aimer Dieu : de TOUT son cœur, de TOUTE son âme, de TOUT son esprit et de TOUTE sa force.
Dans la foi, la veuve de Sarepta avait accepté de nourrir d’abord Élie, avant de s’occuper d’elle et de son fils. De la même façon, la veuve de l’évangile attend de Dieu qu’il veille sur elle, mais elle se donne d’abord elle-même à lui, en donnant tout. Telle est la loi déconcertante et exigeante de l’évangile : il s’agit de jouer à QUI PERD GAGNE ! Jésus nous invite à prendre le chemin risqué du DON TOTAL de nous-mêmes, seule manière de montrer que nous aimons Dieu DE TOUT NOTRE CŒUR.