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27ème dimanche du TO - C

Frère Michel Demaison op

2 octobre 2016

Luc 17, 5-10

Dans l’oraison qui introduit les lectures et que j’ai dites en votre nom à tous, vous avez entendu : « Dieu éternel, tu combles ceux qui t’implorent, bien au-delà de leurs désirs » : oui, merci, Seigneur, mais si tu pouvais, avant d’aller au-delà, combler simplement nos désirs. Et encore : « Que ta miséricorde nous donne plus que nous n’osons demander » : certes, Seigneur, ta miséricorde est inépuisable, mais qu’elle veuille bien d’abord nous accorder ce que nous osons demander.
Avez-vous déjà osé demander qu’un arbre se déracine pour aller se planter dans la mer ? Il y a plus urgent. En revanche, vous avez certainement demandé pour vous-même ou pour un proche que se rétablisse la santé, qu’un emploi soit enfin retrouvé, qu’un couple ou une famille se réconcilie, et, plus largement, que la faim, la misère, les conflits meurtriers avancent vers leur solution. C’est ce que nous faisons chaque jour dans nos intercessions de l’office et à la messe, moniales, religieux et prêtres. Ces demandes sont donc non seulement normales, mais fortement recommandées. Ce n’est pas un hasard si elles composent la seconde partie du Notre Père enseigné par Jésus.
Alors pourquoi ce plus, cet au-delà, cette surenchère dans l’oraison de ce dimanche ? pourquoi cette réponse déroutante de Jésus à la prière toute simple des apôtres « Augmente notre foi » ?
A travers sa réponse, Jésus veut nous dire, à tous après ses apôtres, quelque chose d’essentiel ; il veut nous enseigner ce que c’est que cette foi qu’il attend de nous.
Revenons sur les prières d’intercession que je viens d’évoquer : si nous y faisons attention, ces intentions pourraient aussi bien se trouver dans le cœur et sur les lèvres des croyants de toute religion, et même d’incroyants à qui il arrive de s’adresser à un “dieu inconnu” ou possible, à une puissance supérieure, à des énergies positives qui sont si bonne presse aujourd’hui ; car, lorsqu’on est dans une impasse, devant un mur, on est bien obligé de regarder en l’air pour trouver une issue possible.
Jésus n’a rien contre ces prières de demande : elles abondent dans l’Ancien Testament, en particulier dans les Psaumes, et dans tous les livres du Nouveau Testament. Mais ce qu’il est venu annoncer, c’est autre chose, c’est ce qui est à la base de la prière chrétienne, ce qui commande nos demandes, ce sur quoi elles s’appuient pour être prières adressées au Dieu de Jésus-Christ. En un mot, c’est la foi qu’il attend de nous en premier. Il la décrit souvent : elle est une rencontre qui produit une conversion, un retournement, et la décision de le suivre. Ce retournement change d’abord notre regard sur notre vie, sur les autres, sur le cours du monde. Il nous aide à voir, à saisir autrement ce qui arrive, à tout regarder dans une lumière nouvelle, renouvelante, qui bouleverse l’ordre naturel des choses.
Quand on demande à un arbre d’aller s’enraciner dans la mer, en effet, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. La foi que Jésus met en nous en nous appelant par sa grâce et qu’il attend de nous en réponse, elle déboussole, elle nous désaccorde de la logique du monde, même du monde des religions : le Dieu auquel nous croyons n’est pas celui qui est aux ordres pour satisfaire nos demandes, un magicien ; c’est un Dieu qui veut nous donner autre chose – un au-delà, un plus – dont nous ne savons que faire… aussi longtemps que nous n’avons pas remis toute notre vie sous cette lumière nouvelle. Le Dieu vers lequel Jésus nous conduit nous laisse même entendre, on l’a lu dans le prophète Habacuc (« Pourquoi me fais-tu voir le mal et la misère ? ») et dans l’épître à Timothée (« Prends ta part des souffrances qui sont liées à l’annonce de l’évangile »), que les épreuves sont inséparables de la vie du croyant, et qu’elles prennent leur signification, leur poids de vérité, lorsque la promesse contenue dans la foi s’accomplit en nous, à travers nous.
Car il y a une autre dimension de la foi réclamée par le Christ. Elle est également indiquée par l’image de l’arbre : l’ordre qui lui est lancé peut être aussitôt exécuté (« Il vous aurait obéi »). La foi en l’Évangile, nous dit saint Paul, est puissance de Dieu pour notre salut (Rm 1, 16-17). Elle est un don qui sauve, c’est à dire, qui nous fait respirer l’air de Dieu, qui redonne vie (« Le juste vivra par la foi »). Paul reprend la parole du prophète Habacuc en lui donnant le sens nouveau reçu de l’Évangile : la fidélité à la Loi est devenue la foi en la grâce qui seule peut nous sauver. Nous sauver : c’est nous libérer des liens qui nous enchaînent à nos propres intérêts, de l’image que nous voulons donner de nous-mêmes ; c’est aussi purifier, décanter nos demandes pour qu’elles se conforment toujours davantage à ce que Dieu veut pour nous, au-delà de nos désirs. C’est la première partie du Notre Père : partager la vie de Dieu.
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la parabole du serviteur inutile. Que notre volonté, notre désir, nos forces, tendent vers le service désintéressé du Royaume parce que c’est la seule voie par laquelle il vient parmi nous : il se donne gratuitement à qui se donne gratuitement. Accueillons-le maintenant dans le don de l’Eucharistie.