1er Dimanche de l'Avent 2016 - A
Frère Gilles Berceville op
27 novembre 2016
Matthieu 24,37-44
Le temps de l’Avent nous est donné par l’Église pour renouveler en nous, disciples de Jésus, l’attitude de l’attente. Nous attendons le Jour du Seigneur. Nous l’attendons et nous l’espérons, car en ce Jour-là, Jésus viendra, nous irons à sa rencontre, nous le « verrons tel qu’il est », dans toute sa beauté ; et tout alors sera jugé, c’est-à-dire tout apparaîtra dans sa vérité, pour être transformé et entrer dans la Gloire de Dieu.
Le Jour du Seigneur, nous l’attendons et nous l’espérons Vous connaissez peut-être ce que Charles Péguy a écrit de l’espérance. Le poète fait parler Dieu. Comme un bon père qui regarde le monde qu’il a créé et ses enfants qui l’habitent. Et ils les trouvent bien agités, ses enfants. Cela lui fait de la peine. Malgré tout, une chose entre toutes l’étonne chez l’homme, son enfant. Une chose le touche, une chose l’émeut : c’est l’espérance. Cette petite fille qui se lève chaque matin. Pourtant, à bien regarder le monde, on se demande parfois pourquoi. On se demande parfois comment. Se relever.
Ce n’est pas le propre du chrétien d’espérer. C’est le fait de toute personne humaine. C’est bien mystérieux. Si je parlais, comme le poète, je dirais : il y a de quoi étonner le Bon Dieu lui-même. A moins qu’il ne faille dire au contraire : il n’y a que Dieu a pouvoir s’en étonner assez, s’en étonner comme il faut. Parce que lui sait, lui mesure la peine et les déceptions d’une vie d’homme. Lui compte tout ce qui dans une vie d’homme appesantit les cœurs. Alors, la petite fille Espérance qui malgré tout cela se lève chaque matin, il l’admire et il la bénit. Comme il admira et bénit le monde, au commencement, parce qu’il vit combien cela était bon.
L’homme espère. Il espère être homme. Et si par malheur, tout espoir s’éteint en lui, il ne se relèvera plus. Il espère, et pourtant il a déjà connu tant d’attentes déçues. Il a vu tant de ses frères et de ses sœurs se perdre. Disparaître dans la souffrance de l’absurde. Mais il ne peut s’empêcher d’espérer – d’espérer aussi longtemps qu’il continue de vivre. Ne nous moquons pas de lui. Cette espérance est sacrée, parce qu’elle appartient « à ce point qui en nous dit : Notre Père. » Ce point qui au plus profond de nous n’a pas oublié que l’existence est un don, et qu’elle nous vient de qui nous aime.
Venons-en aux paroles que Jésus nous adresse aujourd’hui. Je ne les ai pas oubliées. Je n’ai pas voulu y échapper. Je voulais y venir. On ne les comprend bien qu’à la lumière de cette vérité fondamentale : Dieu est Notre Père. Cette vérité si précieuse et si vulnérable. Cette vérité source de toute espérance : Dieu est notre Père. Je me suis permis de revenir à ce B A BA du catéchisme, que nous avons appris, que nous avons transmis, que nous aurions voulu transmettre. Je suis retourné là parce que cette vérité fondamentale éclaire tout ce que Jésus nous dit, jusqu’à ses paroles les plus difficiles, jusqu’aux jours les plus sombres que nous vivons.
Le Jour du Seigneur nous l’attendons, et nous l’espérons : comme le jour où notre besoin humain de comprendre et d’aimer sera enfin exaucé. Pourtant, voici que Jésus nous l’a dépeint, ce Jour, sous des couleurs inquiétantes et sombres. En fait, c’est d’abord notre monde d’aujourd’hui qu’il a dépeint. Un monde où « l’on mange, où l’on boit, où l’on se marie et où l’on a des enfants, où l’on travaille qui au champ, et qui au moulin. » Ce monde, il l’évoque avec les mots du vieux Salomon dans l’Ecclésiaste. Souvenez-vous : il y a un temps pour tout. Et tout cela va et vient pour disparaître comme le souffle du vent. Vanité… Un monde où cette roue du temps qui nous emplit parfois d’un sentiment de vide, broie trop souvent l’homme dans les catastrophes de la nature, dans la violence de la guerre.
Et bien, ce que Jésus nous dit ce matin comme toujours, c’est d’abord que Dieu ne nous a pas oubliés. Alors que tant de choses de la terre nous blessent et nous inquiètent, ou tout simplement nous usent. Le Père, Notre Père du ciel, a son secret, que lui seul connaît. Et chacune et chacun de nous a sa place marquée dans ce secret. Le Père a son heure, et lui seul la sait. Ce secret, c’est son affaire, entre Lui et chacune et chacun de nous. Voilà pourquoi, notez-le bien, les choses ne se passeront pas au Jour du Seigneur exactement comme elles se passèrent aux jours de Noé, en ce déluge que d’ailleurs Dieu avait promis de ne jamais plus reproduire. Au Déluge en effet, « tous furent emportés », rappelle Jésus. Au jour du Seigneur au contraire, « l’un est pris, l’autre est laissé ». C’est dire que chacun devra répondre de sa vie. Que chacun devra faire de sa vie une réponse.
C’est d’abord cela que signifie « veiller ». Jésus va donner ensuite des exemples de veilleurs : le bon administrateur qui donne à tous la nourriture en temps voulu ; la jeune femme qui fait provision d’huile ; des serviteurs qui font fructifier leur talent ; des miséricordieux qui le reconnaissent et le servent dans les pauvres. Veiller, c’est choisir en tout temps, jusqu’au moment de l’épreuve, le parti de la bonté. Choisir d’être bon, un peu comme Dieu est bon. Chacun à sa manière et à sa mesure. Voilà la réponse que Dieu attend de chacun de nous, et il nous a envoyé Jésus et son Esprit pour prononcer en nous les mots de cette réponse.
On ne veille pas sans attendre l’aurore. Notez-le bien : c’est sur ceux qui n’auront pas veillé que le Jour du Seigneur s’abattra « comme un voleur », emportant tout. « Celui qui n’a pas (ce qu’il croyait pourtant avoir et qui n’était que du vent) dit encore Jésus, même ce qu’il a lui sera retiré.
Celui qui veille attend le Jour comme un veilleur guette l’aurore. Car il viendra, ce Jour, et, à la lumière de notre Dieu, chacune de nos vies nous apparaîtra comme un secret d’amour.