1er Dimanche de Carême 2017 – A
Frère Bernard-Dominique Marliangeas op
5 Mars 2017
Mt 4, 1-11
Un lieu, une mise à l’épreuve, un combat dans la durée. Voilà les trois réalités que l’Évangile de Matthieu met en scène, et elles nous renvoient à une double histoire.
Une histoire ancienne, celle d’Israël à sa sortie d’Égypte que Jésus évoque en citant les versets du Deutéronome en réponse au tentateur. Et une histoire toujours actuelle, celle de chacun de nous sur le chemin de Pâques à la suite de Jésus pour sortir de nos esclavages.
Commençons donc par le désert.
Bien plus qu’un lieu géographique, pour Matthieu, c’est un lieu symbolique où se vit une expérience à la fois humaine et religieuse.
Du point de vue de l’expérience humaine, le désert renvoie à une situation que nous vivons un jour ou l’autre, tous, avec force, celle qui se caractérise par le vide et le manque. Ce désert, on peut le connaître en pleine ville. Nous expérimentons cette situation, quand nous nous trouvons démunis, et cela peut se vivre à bien des niveaux différents.
Et c’est alors le temps de l’épreuve, deuxième réalité mise en scène par Matthieu.
Le manque de nourriture déclenche la faim. C’est normal, mais Jésus ne se laisse pas tromper sur la façon d’en triompher. Ce n’est pas par la consommation. On peut tromper sa faim, comme on dit, mais on reste affamé. Et le symptôme en est la poursuite indéfinie de la consommation : à peine ai-je consommé un objet qu’il faut que j’en consomme un autre. Et c’est sur ce mécanisme qu’est construite toute notre société commerciale : on nous fait prendre nos envies pour des besoins. Notre manque véritable est bien plus profond et nous nous trompons, nous trompons notre faim en consommant.
Et le premier esclavage qui nous guette, nous les croyants, c’est de mettre Dieu au service de nos envies. Jésus n’y cède pas. Et il reprend la parole du Deutéronome : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Et voilà qui nous amène au second niveau de l’expérience du désert, celui d’une expérience religieuse. Pour tout croyant en Israël, le désert c’est le lieu des fiançailles de Dieu avec son peuple, c’est le début d’une histoire. C’est le lieu où résonne la parole : « J’ai mis en toi tout mon amour ». Et c’est précisément cette parole qui s’est donnée à entendre à nouveau lors du baptême de Jésus, qui ouvre la nouvelle Pâque. Et elle s’adresse aussi à nous car Jésus s’est fait notre frère en humanité, et c’est à Jésus comme être humain qu’elle est adressée. Elle rejoint notre manque radical : celui d’être pleinement reconnu et aimé. Mais comment accueillir en vérité cette parole ?
Deux attitudes nous guettent, qui sont aussi deux autres formes d’esclavage dont nous avons à être libérés. La première c’est celle de l’irresponsabilité, elle est liée à une fausse idée de la bonté de Dieu. Dieu n’est pas là pour se plier à nos caprices, comme le suggère le tentateur : « puisque tu es le Fils de Dieu, jette-toi d’en haut », fais un exploit ! Jésus n’entre pas dans cette logique, Jésus lui répond : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu », par tes caprices ! Quant à nous, la question nous est posée : quel rôle faisons-nous jouer à Dieu dans notre prière ?
Un dernier esclavage nous guette, qui est à l’opposé de l’irresponsabilité religieuse : celui de la volonté de puissance sans Dieu. Et remarquez bien le cercle infernal dans lequel enferme la suggestion du tentateur : « Tout cela – les royaumes du monde, les puissances – je te les donnerai… si tu te prosternes pour m’adorer ». La volonté de puissance, c’est celle qu’on peut exercer sur les autres tout autant qu’on la subit soi-même ; c’est la logique du maître et de l’esclave dont on n’a jamais fini de sortir, même dans la religion. Et la réponse de Jésus est celle de la foi en Dieu qui aime tous les hommes et fait de nous, non pas les maîtres mais les serviteurs les uns des autres. Jésus a réalisé en sa personne la prophétie du serviteur souffrant, qu’avait faite Isaïe, en offrant sa vie pour tous les hommes.
Entrer à sa suite dans la vraie confiance en Dieu et le service fraternel ne se fait pas en un jour, c’est clair ! Et c’est là que nous abordons la troisième réalité mise en scène par l’Évangile : un combat durant 40 jours… je ne sais pas si vous vous êtes interrogés sur cette durée bizarre. Dans la Bible, on retrouve ce chiffre aux moments décisifs de l’histoire de Dieu avec les hommes. Et ça commence tôt : il y a les 40 jours du déluge ; il y a les 40 ans de l’Exode dans le désert avant d’entrer dans la terre promise ; il y a les 40 jours de marche d’Élie, décidé à se suicider – parce qu’il a joué les matamores pour montrer de quoi son Dieu se chauffe et puis ça foire complètement, et la reine Jézabel a envoyé un commando pour le tuer, alors se disant pas meilleur que ses pères, inutile d’insister… et un homme le réveille, un ange, qui lui dit « lève-toi et mange, tu as encore une longue route à faire » et il lui donne du pain et il marcha 40 jours. A chaque fois, le chiffre 40 suggère la durée nécessaire pour que naissent de nouveaux rapports entre les hommes et Dieu. Car ces rapports étaient faussés – Élie lui-même se trompait de Dieu. C’est le temps nécessaire à la naissance d’une humanité nouvelle, capable d’entendre la parole « En toi j’ai mis tout mon amour ». Cette parole du Dieu vivant qui appelle à vivre. Mais pourquoi 40 ? la Bible ne s’en explique pas. Peut-être peut-on penser aux 40 semaines nécessaires pour que naisse un petit d’homme, une nouvelle génération. 40 dans la Bible, c’est le chiffre de la transformation et de la naissance.
Et le carême nous rappelle que notre vie chrétienne tout entière est sous le signe de la transformation et de la conversion.
On peut être un vieux baptisé, pas question d’être un vieux converti. La conversion est de chaque jour, alors bonne route à chacun.