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3ème Dimanche du Carême - A

Père Michel Mounier

19 mars 2017

Jean 4, 5-42

Nous approchons doucement de la Pâque, l’heure du Christ. Or c’est tout l’Évangile de Jean qui est rythmé par le thème de « l’heure » de Jésus. Au terme de son parcours il dira : « Père l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie. » « L’heure » est celle de la révélation du Fils et du Père. Elle s’accomplira à la croix mais le message dont elle est porteuse s’étend en cercles concentriques.
Déjà à Cana en Galilée Jésus dit à Marie : « Femme, que me veux-tu, mon heure n’est pas encore venue. » Déjà à Jérusalem, capitale de l’ancien royaume de Juda, cœur battant du judaïsme, il a appelé le pharisien Nicodème à « renaître pour voir le règne de Dieu ». Bientôt, de nouveau en Galilée, il dira à un païen, fonctionnaire royal : « Ton fils est vivant… Alors il crut, lui et toute sa maisonnée ». Plus loin dans le récit, de nouveau à Jérusalem, Jésus rencontre des grecs, autant dire l’autre monde, et leur déclare : ’l’heure est venue pour le Fils de l’homme d’être glorifié ». Jean met en scène la longue course de la Parole depuis la Galilée, Jérusalem, jusqu’aux extrémités du monde. C’est comme si la récit des Actes des Apôtres était déjà tout entier ici, symboliquement.
Pour l’heure nous voici en Samarie, ce qui reste de l’antique Royaume du Nord, Israël. Les habitants, population même selon les méthodes des Assyriens pour contrôler un territoire, les samaritains donc ne reconnaissent pas Jérusalem et le Temple, ont leur propre Torah. Les juifs les considèrent comme hérétiques frappés d’impureté rituelle. Interdits donc. On évite la Samarie, préférant suivre le cours du Jourdain.
C’est ainsi que Jésus arriva à une ville de Samarie. Et voici que la fatigue de l’un, la lassitude de l’autre qui vient là à midi en plein soleil sans doute pour éviter les commérage qu’entraine sa situation, voici que la soif chez les deux amène cette rencontre improbable au puits de Jacob, l’ancêtre commun. Et Jésus fait le premier pas, transgressant ainsi deux interdits : il parle à un habitant de Samarie, et à une femme, seule. Une fois de plus, Dieu fait le premier pas. Toujours. Quand donc est-il venu me rencontrer dans mon histoire ?
L’eau. L’eau qui représente la parole qui désaltère et qui fait vivre. Jésus qui est la Parole de vie. « Je le suis moi qui te parle », Jésus ne se présente pas à cette pauvre femme comme un docteur de la Loi et de la morale, ni comme un maître enseignant la vérité mais comme un homme en manque, assoiffé, démuni pour puiser de l’eau. Il a besoin d’elle pour vivre. Dans d’autres Evangiles, c’est aussi une étrangère qui fait prendre conscience à Jésus que sa mission est universelle. La Parole du Christ n’est pas en surplomb, elle s’engage dans un dialogue qui attend quelque chose de l’autre. Tel est Dieu en Jésus, dépendance, impuissance de Dieu dont la Parole ne peut que traverser et habiter nos paroles.
Dialogue donc. « D’où la tiens-tu cette eau vive ? » dans les autres Evangiles, on entend : « par quelle autorité fais-tu cela ou dis-tu cela ? » « serais-tu plus grand, toi, que notre père Jacob ? » Voici la vraie question : « qui es-tu ? » « Tu as les paroles de vie éternelle, répondra Pierre. Et nous, nous avons cru et nous avons connu que tu es le Saint de Dieu ». Nouveauté du Christ, hier et aujourd’hui. Eternelle nouveauté. Non Dieu n’a pas déserté notre monde.
« L’heure est là où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité. » Dieu est Esprit et c’est pourquoi ceux qui l’adorent doivent adorer en esprit et vérité. L’Esprit qui nous conduit à dépasser les exclusives et les absolutisations des supports de la foi pour nous conduire au Père.
L’Esprit souffle où il veut, libre, de la liberté de Dieu. Scrutons les signes des temps, l’Esprit souffle toujours.
Nouveauté du Christ oui. Dont l’Evangile de Jean ne cesse de déployer les harmoniques : le pain de vie, la lumière, la porte, le Fils de Dieu, la Résurrection et la vie. Le Christ en qui Dieu se donne à voir : « Quand le Fils de l’Homme sera élevé, alors vous connaîtrez que moi « Je Suis ».
Et voici que la femme abandonne sa cruche pourtant indispensable, car elle a trouvé la Source. Alors comme les disciples au début de l’Evangile, elle ne peut qu’inviter les gens de la ville à venir et à « voir » sans être certaine pourtant : « ne serait-il pas le Christ ? ». Et nous voilà comme elle, hommes de foi et de doute mêlés, des serviteurs, des passeurs, car ce n’est pas nous qui donnons la foi. Et il peut nous arriver d’être stupéfaits par la rencontre du Christ avec tel ou tel. Alors nous nous souvenons : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons, nous-mêmes, nous l’avons entendu et nous croyons que c’est vraiment le Sauveur du monde ».