Homélie sur le Notre Père
Fr Jérôme Rousse-Lacordaire op Paris
Matth. 6, 7–15
“Notre Père qui êtes aux cieux / Restez-y / Et nous nous resterons sur la terre / Qui est quelquefois si jolie.”
Cette boutade de Prévert, si c’en est une, n’est pas très bonne ; mais ce qu’elle nous dit — à savoir que le domaine de Dieu, c’est seulement le ciel, et que le domaine de l’homme, c’est uniquement la terre —, bien des catholiques le pensent quand ils disent, plus finement que Prévert, que si un chrétien peut agir dans nos sociétés en chrétien, il ne doit pas le faire en tant que chrétien, c’est-à-dire en tant que membre de l’Église. Et ainsi, effectivement, notre Père qui est aux cieux y reste, occupé seulement des âmes, et nous les hommes qui sommes sur la terre y restons aussi, laissant à de plus puissants que nous le soin du corps de nos frères ; et, de la sorte, les vaches (c’est-à-dire nous) sont bien gardées.
Or, le Pater nous dit précisément que notre Père a souci de la terre, de nos corps, de notre pain et de notre présent, et non pas seulement du ciel, de notre âme et du futur. Et nous, par la pratique réelle du pardon et de la charité, entrons dans cette œuvre divine de salut qui concerne indissolublement, ici et maintenant, et l’âme et le corps de nos frères, et la terre et le ciel.
Il ne s’agit pas de substituer notre Église aux pouvoirs publics, mais de réaliser que si le royaume de Dieu ne vient pas de ce monde, il vient cependant en terre, en ce monde, chaque fois que nous prenons parti pour le corps et l’âme de ces petits dont Jésus nous affirme qu’ils sont son visage aujourd’hui, à lui qui est le visage du Père tourné vers nous.
Alors, n’en déplaise à Prévert et à quelques autres, notre Père, qui est aux cieux, n’y reste pas, car son Nom est sanctifié, son règne advient et sa volonté est faite sur terre quand nous l’accueillons ici et maintenant. Notre Père qui êtes aussi sur terre, avec nous, restez-y, et alors notre terre sera enfin si jolie qu’on y sera déjà un peu au ciel, corps et âmes.