21ème Dimanche du TO B
Fr Luc Devillers op Suisse
« À qui irions-nous ?
Jos 24,1…18 ; Ep 5,21-32 ; Jn 6,60-69
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« S’il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir : les dieux [de] vos pères […], ou [ceux] des Amorites. » C’est ainsi que Josué s’adresse aux douze tribus d’Israël. Et voici comment le nouveau Josué (Jésus, c’est le même nom) s’adresse aux douze apôtres, dans un contexte de crise : « Voulez-vous partir, vous aussi ? »
Rappelez-vous. Après la multiplication des pains, Jésus avait invité la foule à chercher la nourriture qui vient de Dieu. La foule avait pensé à la manne du désert, mais Jésus parlait de lui, le vrai pain de vie descendu du ciel. Puis il avait invité à manger son corps et à boire son sang pour avoir la vie. Les juifs avaient alors réagi : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Ce matin, ce sont des disciples qui protestent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » Et l’évangéliste ajoute : « À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. » La crise est grave.
Si on y réfléchit bien, il est difficile de voir dans cette crise un écho du ministère de Jésus en Galilée. En effet, Jésus n’a pas encore institué l’eucharistie. Du coup, personne n’aurait pu comprendre son discours sur sa chair à manger et son sang à boire, pas même les Douze ! En réalité, pour composer son récit l’évangéliste tisse ensemble des fils évoquant la vie de Jésus et d’autres reflétant celle des premières communautés chrétiennes. L’évangile de ce jour évoque une théologie de l’eucharistie très développée, qui n’a pas été reçue par certains croyants, tentés alors de revenir à une pratique juive plus classique. Car l’eucharistie s’inscrit dans le sillage de rites plus anciens, mais elle les transforme. Notamment, il faut comprendre spirituellement ces mots de « chair » et de « sang » : cela n’a rien à voir avec du cannibalisme ou du vampirisme.
« Voulez-vous partir, vous aussi ? » La question que pose Jésus dit son respect pour notre liberté. Comme Josué, il nous place devant notre responsabilité : à nous de choisir de suivre le Dieu d’Israël ou non ; à nous de choisir de suivre Jésus ou non. Bien que blessés par le péché, nous sommes des êtres libres. Pour les Pères de l’Église, Dieu, en créant l’humanité à son image et ressemblance, ne pouvait que la créer libre. Nous sommes libres : la foi en Jésus ou au Dieu d’Israël n’a rien à voir avec l’entrée dans une secte dont vous devenez prisonnier, parce que son gourou a confisqué vos papiers d’identité, votre carte de crédit, votre portable et vos clés. Dire « oui » dans la foi, dire « Amen » à la fin de chaque prière liturgique et avant de recevoir le corps et le sang du Christ, ce sont des actes libres. Dieu n’a que faire d’esclaves emprisonnés dans la peur du châtiment ou en état d’infantilisme.
Chaque matin, Jésus nous dit : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Et nous pouvons toujours le quitter, ou choisir de l’aimer encore. Le Seigneur attend que nous disions librement, comme Josué : « Moi et les miens nous voulons servir le Seigneur » ; et comme Pierre : « Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle. »
Mais cet acte de foi libre reste exigeant, car il nous met au service les uns des autres. Or, la lettre aux Éphésiens semble dire qu’en régime chrétien la femme est soumise à son mari, sous prétexte que l’Église est soumise au Christ. Mais est-ce bien là l’idéal chrétien du mariage ? Non. Pour que cette parole soit de Dieu et donc porte la vie, il faut la resituer dans son contexte littéraire. Or, juste avant d’exiger que les femmes soient soumises à leur mari, Paul avait demandé à tous d’être « soumis les uns aux autres ». Voilà sa demande principale, sur laquelle il revient souvent dans ses lettres, tant elle est constitutive de la condition chrétienne. Nous soumettre les uns aux autres, dans l’amour et par amour. Le cas de la femme au sein du couple n’est alors qu’un cas parmi d’autres, retenu sans doute en raison du contexte culturel (une société patriarcale), mais aussi pour illustrer l’union du Christ et de l’Église.
Il est vrai que Paul ne demande pas à l’homme d’être soumis à sa femme, mais de l’aimer « à l’exemple du Christ [, qui] a aimé l’Église [et] s’est livré lui-même pour elle ». Or, il ne faut pas oublier que, dans l’Antiquité, le mariage d’amour n’existait quasiment pas. C’est à la suite de Jésus que donner librement sa vie par amour pour un (une) autre prend sens.
Voulons-nous suivre Jésus ou le quitter ? À chacune et à chacun de nous de répondre librement. Non pas une fois pour toutes, mais chaque jour. C’est exigeant, mais cela en vaut la peine. Et nous pouvons toujours compter sur l’amour inconditionnel et fidèle du Seigneur.