St Joseph 2019
Fr Jean-Arile Bauza Salinas OP
Mt 1, 16.18-21.24a
Joseph, l’homme des songes. “Voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit“. Marie supporte l’apparition Angélique en pleine possession de ses moyens et peut même soutenir une conversation avec lui. Pour Joseph, en revanche, il semble que cela lui serait peut-être insupportable. L’ange commence d’ailleurs son discours par “ne crains pas”. Joseph craint. Et il craindra aussi plus tard : “apprenant qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place d’Hérode son père, il craignit de s’y rendre ; averti en songe, il se retira dans la région de Galilée et vint s’établir dans une ville appelée Nazareth” (Mt 2, 20-23). Par quatre fois l’ange vient à lui dans le rêve, Dieu l’épargnant de la cruauté diurne des criminels. Joseph ne verra pas le sang des enfants innocents, ni le sang de l’Innocent, son enfant, cloué au gibet. C’était sûrement trop pour lui : il n’était pas appelé, comme Marie, à avoir le cœur transpercé. C’est la Mère, celle qui a donné sa propre chair, qui accomplira dans sa chair la mort du Fils au pied de l’arbre de la croix. Joseph ne pourrait pas assister à la mort de Jésus, puisqu’il est constitué garant de sa vie: “Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère (…) Car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr.” Il se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte” (Mt 2, 13-14).
Joseph est donc le “Christophore”. Joseph est celui qui porte la vie de Dieu, à travers (de?) la nuit.
Joseph est l’homme de la nuit, l’homme du secret des profondeurs de Dieu, l’homme du mystère, du “mystos”. Ce mot vient du “myo” grec, et nous le retrouvons, appauvri, dans le français “muet”: clos, fermé, mais “muet” ne dit pas toute la richesse du mot grec, qui évoque surtout l’idée d’une fontaine scellé, d’une source caché. Joseph fait silence, puisqu’il a été jugé digne d’être l’unique dépositaire d’une trésor que le Père n’a communiqué qu’à lui: le mystère de sa propre paternité. Le mystère de se trouver associé à l’œuvre de la récréation du monde à partir de la parole. “Il dit et cela est“. “Tu lui donneras le nom de IESHOUA“: “Celui qui est, sauve“. Hic et nunc. Ici et maintenant. Jamais homme n’a été élevé à une telle dignité. Le Père se réserve Joseph entièrement pour lui en l’enveloppant dans le mystère de sa propre paternité, non pas du Verbe, mais de l’humanité de son Fils. Par la parole sortie de la bouche de Joseph, le Fils de Dieu entre dans l’arbre généalogique de la dynastie davidique, et par là inaugure l’alliance nouvelle et éternelle. Cela bouscule pour toujours l’ordre de l’univers. Comment voulez-vous donc que, dans l’Évangile, Joseph puisse dire autre chose que “Jésus”? Toute autre parole qui lui aurait pu lui être attribuée, avant ou après la naissance du Christ, n’aurait été que du superflu, du banal. Le seul mot qu’il prononce est le nom humain du Verbe, et cela suffit. D’ailleurs, dans son propre nom il y a comme un avant goût de sa vocation. “Yosef ” veut dire “Dieu ajoute (une descendance)”, mais le mot “ajoute” indique “un plus”, “quelque chose d’autre”, quelque chose qui échappe aux frontières, tel comme le patriarche Joseph acquit sa puissance hors frontières, dans la nation “autre”, celle qui était la plus puissante sur terre, et c’est là que le peuple acquit un rang nouveau et passa du statut de tribu à celui du Peuple, Peuple de l’Alliance. Et c’est précisément en Égypte que Joseph fait entrer Marie et le Christ. Mais désormais les frontières ne sont plus entre deux nations, mais entre la terre et le ciel. Et c’est Joseph qui par sa parole, ouvre les écluses.
Remarquons aussi la différence entre Joseph et le père de Jean-Baptiste : Zacharie parle trop… et il se trouve réduit à écrire le nom de son fils sur une tablette. Joseph ne dit mot, mais nous sommes sûrs qu’il prononça au moins haut et fort -lors de la cérémonie rituelle de reconnaissance légale- le nom de son fils Jésus.