Close

2ème Dimanche de Pâques C

Père Michel Mounier

Jn 20.19-31

Ont-ils cru le message de Marie-Madeleine, ces disciples retranchés derrière des portes verrouillées ? Par crainte. Drôle de foi. Et c’est pourtant d’eux que nous recevons la foi. D’eux et d’abord des femmes. Et voici que ce jour-là, Jésus se donne à voir. Il leur montre ses pieds et ses mains. Le transpercé est ressuscité. C’est la croix qui atteste la vérité de la résurrection.

« C’est bien moi », dit Jésus à ses disciples. Le mystère de Pâques n’est pas la mort, mais la traversée de la mort. Cela n’est pas à voir, mais à croire.

Mais qu’est-ce qu’être croyant quand il n’y a plus rien à voir ?

Et voici Thomas, dit Didyme, c’est à dire le jumeau. De qui est-il le jumeau ? Peut-être de toi, de moi. C’est un caractère, sans doute un peu désabusé, rétif aux enthousiasmes faciles. On l’a déjà croisé. Lorsque Jésus décide d’aller à Béthanie à la mort de Lazare, il avait dit : « allons-y nous aussi pour que nous mourions avec lui ». Ce n’est pas d’un enthousiasme délirant mais quel caractère, prêt à aller jusqu’au bout.

Les disciples lui disent : « Nous avons vu le Seigneur », c’est à dire le Ressuscité. Et sa réponse jaillit : «  Je ne demande pas à voir le Ressuscité, mais le Crucifié ».

En disant cela, Thomas répète ce que l’on dit souvent quand on parle de Dieu : « S’il y avait un bon Dieu, il n’y aurait pas le scandale de la mort injuste. Si vous ne m’apportez pas la preuve que Dieu a quelque chose à dire sur la souffrance injuste, sur la mort de l’innocent, je n’ai rien à faire de vos affirmations. Là est, je crois, la grande question. Comment croire après la Shoah ? Après les vies profanées d’enfants et de femmes, après la mort de l’enfant, après le tombeau de la Méditerranée.

Comment ? Thomas ne se doute pas que la réponse est dans la question même. C’est dans la passion, c’est sur la croix que se trouve la réponse. Nulle part ailleurs. Il ne le sait pas encore mais il s’en approche : c’est au Crucifié qu’il demande de dire quelque chose de sa crucifixion. Ce peut être un très long chemin pour en arriver là, jalonné de doute et d’interrogation. Bernanos écrit que la foi c’est 24h de doute moins une minute d’espérance. La foi n’est pas un bloc de certitude, un prêt à penser, mais une marche, longue, avec des retraits, des arrêts. Voilà trois ans que Thomas marche avec Jésus, il est devenu disciple, il a encore besoin de devenir un homme de foi. Et toi, et moi ?

« Touche ». Thomas comprend que le Ressuscité qui se tient devant lui est la même personne que le Crucifié d’hier. Alors il ne touche pas, il croit. Car ce n’est pas affaire de sens, de toucher. Heureusement pour nous qui ne pouvons le toucher, mais de foi.

Le Ressuscité s’offre à être reconnu vainqueur de la mort, pas seulement de la sienne, de toute mort. Ce qui est à croire, c’est que Dieu se situe aussi dans la mort du juste, dans les morts iniques et dans les innocents bafoués. Ce qui est à croire, c’est que les misères du monde révèlent la vérité de Dieu, car Dieu est passé par là, Dieu a assumé cela.

Thomas qui avait dit : « Je ne croirai que si je vois » s’écrie maintenant : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Alors que Jésus est devant lui, il dit sa foi justement dans ce qui ne se voit pas et qui ne peut se voir, l’identité de Jésus. Il est entré dans le voir nouveau qu’est la foi.

Il voit enfin ce que Jésus lui proposait de voir vraiment : que les stigmates de sa défaite sont les signes de sa victoire de Christ et Seigneur. Quelle grâce de croire en ce Dieu là ! Mais comme c’est étrange, mystérieux : Dieu crucifié. C’est un cadeau, le plus beau des cadeaux.

Et le récit de Jean se termine par ces mots : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu… pour que vous ayez la vie en son nom ». C’est la fin primitive de l’Évangile de Jean. Que vous ayez la vie. Voilà le but de l’Évangile.

Frères et sœurs, cette vérité de Dieu et de l’homme, révélée en Jésus crucifié et en Christ ressuscité ne se négocie pas. Jésus est mort de n’avoir pas fui ce que nous fuyons souvent, en vain d’ailleurs : la vérité de nous-mêmes. Il vient communier au pire de nous-mêmes : la mise à mort du juste ou de l’innocent. Nous en sommes capables. Ou nous nous en rendons complices. Ce que nous voyons sur la croix, c’est que le monde est monde, que la mort est la mort, que la souffrance est la souffrance, que la haine est la haine.

Et c’est aussi la vérité de l’homme d’y voir sa propre responsabilité.

Et pourtant, croire consiste à voir Dieu qui a consenti à être en Jésus, victime de tout cela, lui aussi.

Non, la mort n’est pas étrangère à Dieu, mais la vie de Dieu traverse la mort.

Nous n’avons pas le choix, sauf à fermer les yeux, les oreilles et le cœur : la violence et la mort sont à voir tous les jours. La victoire sur cette violence et sur cette mort est à croire tous les jours.

Pâques, c’est ce qui ne se voit pas mais qui a cependant le dernier mot, la vie, la vie ressuscitée.

Chacun, chacune, nous sommes déjà vainqueurs de toute mort, en Christ. Déjà.

Ce jour-là, ce fut l’expérience des disciples et de Thomas.

Si nous le voulons, et si Dieu le veut, que cela puisse être aussi notre expérience. Et puissions-nous en rendre témoignage. Pour que nous ayons la vie.

 

Ecouter :