17ème Dimanche du To C
Fr Maxime Allard op
Lc 11. 1-13
Soyons réalistes ; soyons vrais.
Il arrive que nous demandions sans recevoir, que nous frappions sans que les portes s’ouvrent ou que nous cherchions et que nous revenions bredouilles de notre quête. C’est comme cela.
À être attentifs aux clameurs du mondes, aux informations qui circulent en provenance de près ou de loin, nous découvrons – si nous ne nous mettons pas la tête dans le sable – que des parents peuvent parfois donner du poison à leurs enfants (des enfants font de même envers leurs parents)! Triste réalité. Mais c’est pourtant la réalité humaine.
À écouter les hommes et les femmes, on entend des plaintes semblables quant à leur vie de prière…
Pour entendre la Parole de Dieu dans son réalisme et dans l’espérance qu’elle ouvre en ce dimanche, je vous propose une caisse de résonance. Elle a deux extrêmes… et une cinquantaine de teintes intermédiaires !
À un extrême, se trouvent des gens tristes, déçus, amers peut-être même. Ils ont demandé, cherché, sans recevoir ou trouver; ils ont frappé à des portes qui se sont ouvertes mais pour les frapper, pour les faire taire ou disparaître. Ils avaient espéré, ils avaient osé penser que ce qui blessait l’humain pouvait être contenu. Les jours les plus fous, ils avaient osé croire qu’on pourrait éradiquer les injustices et les malheurs. Cela n’a pas été. Ils n’attendent plus rien, n’espèrent plus, ne font plus confiance à leur désir de soulèvement car il n’aboutit à rien. Rien ne change, ne peut être changé. Ils sont résignés. Ils ne demandent plus quoi que ce soit à qui que ce soit… à Dieu moins qu’aux autres.
À l’autre extrême, vous avez les « belles âmes », celles pour lesquelles tout ce qui arrive, arrive pour une cause déterminée, choisie, voulue par Dieu, par un Dieu bon, provident. Elles n’ont rien à demander. Elles sont toute louange, action de grâce. Il y a de l’injustice, un ordre des choses qui en oppriment plusieurs : tout se replacera, du bien en sortira. Elles espèrent sans rien faire pour changer les choses. Elles ne se soulèvent pas. Elles attendent, dans l’espérance d’un pur amour.
La Parole de Dieu aujourd’hui invite à ne pas se laisser enfermer dans ces deux extrêmes et à sortir de ces schèmes et de ces attentes peu évangéliques.
Devant la clameur montant de Sodome, sachant qu’y vivent Lot et les siens, Abraham se soulève, sort de son mutisme accueillant. Il demande. Il répète sa prière. Il réitère, avec finesse, sa requête au nom de Dieu même, de sa justice, de la réputation de Dieu. Une négociation dans les règles de l’art et avec le raffinement de la rhétorique. Car il espère sauver les gens qu’il connaît… et, vous l’aurez remarqué, du même coup faire pardonner ses fautes bruyantes à Sodome. Il ne se résigne pas. Il ne s’enferme pas dans l’action de grâce.
La prière que Jésus offre à ses disciples tranche sur les deux attitudes d’amertume ou de joie béate et aveugle. Elle tient compte de ce que nous sommes tentés de demeurer sourds aux clameurs et aux plaintes d’oppression. Comme le prête ou le lévite de l’épisode du « bon samaritain », nous pouvons être tentés de détourner le regard, de changer de chemin pour ne rien faire et laisser un frère ou une sœur dépérir. Nous pouvons aussi être tentés de ne pas offrir l’hospitalité à la manière d’Abraham ou de Marthe, car cela impliquerait un engagement coûteux. Nous pouvons être tentés, parce que blessés par la vie, de ne plus rien demander, de nous replier sur nous-mêmes : cela fera moins mal qu’un refus, qu’une absence de reconnaissance… Pour ne rien dire des tentations d’empoisonner la vie des gens ! Les tentations sont multiples. Mais ce sont des tentations. Il n’est pas nécessaire d’y entrer, de s’y soumettre. On peut demander d’être soutenu afin de n’y pas succomber!
Les tentations sont d’autant plus fortes que « ventre affamé n’a pas d’oreilles ». Autant demander du pain quotidien. Avec un estomac qui ne crie par famine, il est plus aisé d’écouter une plainte, de se laisser soulever par un désir, de croire et d’espérer pouvoir changer une situation… Jésus connaît bien le cœur humain. Il le fait s’exposer dans la prière, devant le Père.
Mais au cœur de la prière, il y a le pardon. Le pardon demandé certes. Surtout, le pardon offert. Et là, tout bascule en quelque sorte. La résignation ou l’action de grâce béate craquent devant la réalité. Il y a des torts, des injures. Nous en souffrons. Nous offensons à notre tour. Mais déjà, nous qui sommes « mauvais », nous savons pardonner, nous osons pardonner. Jésus est optimiste. Sa prière nous fait dire que nous effaçons tous les torts, toujours. Bon… nous savons que ce n’est pas si facile. Mais nous le faisons car autrement la vie serait impossible. Impossible de vivre sans avoir pardonné ou sans pardonner à autrui. Il y a donc là quelque chose que nous faisons, un acte dans lequel nous nous engageons, à la vie à la mort! Et cela soulève des montagnes, transforme les rapports entre nous. Vous comme moi, devant les torts, nous ne sommes pas résignés ou simplement dans l’action de grâce.
Avec une ruse évangélique, Jésus nous apprenant à prier nous livre à notre vérité… nous ne pourrons vivre en vérité sans le pardon de Dieu, sans l’Esprit de Dieu. Le reste des demandes – le pain, le frein devant la tentation – s’inscrivent dans le sillage de cette étrange demande de pardon adressée à Dieu mais proposée comme un retour, un analogue de notre action déjà en cours, d’un choix vivifiant pour nous et pour autrui.
Cela ne fait pas tout. Il y a encore des clameurs qui restent sans réponse, sans négociateur. Des portes restent fermées et des scorpions peuvent encore prendre la place de l’œuf demandé. Pourtant, baptisés dans le Christ nous somme poussés à devenir comme Abraham, à vivre de ce que nous demandons dans le Notre Père. Pourquoi ? Parce que, comme le faisait entendre la seconde lecture, le péché, Dieu l’a déjà effacé sur la croix du Christ. À la résurrection, il s’est engagé à soulever le monde et à faire disparaître ce qui le balafre.
A nous donc d’oser prier. Sans résignation, il y a de la place pour l’action de grâce… parce que Dieu a agi, parce que son Esprit nous a été donné… parce que déjà nous agissons, à petite échelle, mais nous agissons tout de même : nous sommes déjà engagés à pardonner. Rendons grâce à Dieu pour le pardon offert en Jésus Christ. Osons demander plus de pardon encore et osons le faire en vérité car nous nous sommes déjà engagés à pardonner à répétition.