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18ème Dimanche du TO C

 Fr Maxime Allard op Canada

Lc 12. 13-21

Tout est vanité

Il y a des phrases qu’on ose à peine construire ou prononcer ou répéter tant elles sont dangereuses si et quand elles sont prises au sérieux. L’une d’elle a résonné ce matin à Chalais. « Tout est vanité. » Elle scande le début du livre de Qohélet.
« Tout est vanité ». Tout ? Il ne semble pas y avoir d’exception. La grammaire et la syntaxe sont formelles. Tout serait vain, éphémère, sans valeur durable, comme une buée, une fumée, de la brume? Vraiment ? Nos amours et nos haines, nos labeurs, notre foi, l’Église, les sacrements, nos vies, les souvenirs des jours heureux, la préparation d’une homélie : vain tout cela ? La phrase est catégorique : « Tout est vanité » ! Peut-être, un jour de dépression, sous le coup de la fatigue ou d’une extase mystique, pourrions-nous envisager de la dire, de la répéter sotto voce. Peut-être… et encore ! Car elle risque bien alors de dévaluer cela aussi…
Mais devant l’injustice, la plainte de frères et de sœurs, leur désir de révolte… au cœur de nos engagements à leurs côtés pour qu’advienne un monde plus juste, une Église plus ajustée à l’Évangile de Dieu se débarrassant des abus en tous genres, s’entendre dire que « tout est vanité », alors, on commence à sentir que cela ne va pas. Il exagère Qohélet ? « Tout » ?… tout de même…
Pour se préserver de ces ébranlements, on pourra choisir de retourner sa phrase contre elle-même : si tout est vraiment vain et vanité, la phrase qui le proclame le sera tout autant. Elle se révèle faussée, injuste, injustifiable et on devrait la laisser s’évaporer comme la brume du matin. Alors pourquoi la construire, la prononcer, la faire répéter ? Peut-être, simplement, pour nous inviter à regarder avec réalisme, à la lumière de l’Évangile, nos attachements aux choses, aux gens, à nos histoires, à nos pratiques chrétiennes, à nos images de Dieu, à nos attentes. « Tout est vanité » deviendrait alors une invitation à se rassembler en vérité, détaché de ce qui semblait important et qui nous divisait et qui, à l’analyse critique, à l’appel évangélique à la miséricorde, se révélerait, fumée, évanescent, pas si important après tout ! En la prononçant, Qohélet jouerait vraiment son rôle ecclésial de rassembleur.
Tentons donc l’exercice, ce matin, avec la parabole. Car Jésus me semble très proche de lui, avec cette parabole. Écoutée rapidement, il semble exagérer et dramatiser à outrance. Si c’était le cas, que chercherait-il grâce à ce procédé ? Que cherche la liturgie de ce dimanche avec ces lectures? Plongeons.
L’homme de la parabole a eu une récolte extraordinaire. Il réfléchit. Que faire ? En digne descendant de Joseph en Égypte, il se dit qu’il serait prudent d’engranger tout cela pour l’avenir, pour les années où les récoltes ne seraient pas bonnes. Rien de fou, d’insensé, de vain, là-dedans, me semble-t-il ? Puis, poursuivant sa réflexion, il croit qu’avec cette assurance, il pourrait manger et boire. Je veux bien croire qu’il y a quelque chose d’éphémère à la nourriture et à la boisson, mais c’est utile et nécessaire. Je veux bien, aussi, que des plaisirs du manger et du boire puissent mener certaines personnes à des débordements malheureux… mais de là à déclarer catégoriquement que tout cela est vanité, il me semble y avoir une marge à ne pas dépasser, non ?
Il déclare ensuite, toujours dans son projet, désirer « jouir de l’existence ». Depuis quand l’Évangile de Dieu nous appellerait-il à ne pas jouir de ce magnifique don qu’est la vie, surtout lorsque les maux en sont exempts ? Pourquoi transformer notre représentation du monde en une sombre vallée de larmes ou de mort, alors qu’il est possible de jouir prudemment de la vie, de la nourriture partagée avec des amis ? L’homme se fait dire que tout cela est insensé, vain car cette nuit-là, la nuit qui suit sa réflexion et l’élaboration de son projet, on lui redemandera sa vie. D’accord, peut-être, pourquoi pas ? Mais que je réfléchisse ainsi ou pas, n’y change rien et cet argument devient vain : que je réfléchisse prudemment ou que je sois un débauché n’y changera rien car un jour ou l’autre on me redemandera ma vie, de toute façon. L’Évangile de Dieu n’est tout de même pas une invitation à ne rien faire, à rester là bêtement devant les dons de Dieu comme devant les calamités de la vie, sous prétexte que demain pourrait être le dernier jour ! Quelque chose d’autre se cache là… Rien d’autre peut-être que la voix même de Dieu, la voix de Dieu lui-même qui s’invite au cœur de cet homme pour l’inciter à ne pas se précipiter sans un surcroît de réflexion évangélique : qui te tient ? À quoi et à qui tiens-tu vraiment ? Merveilleuse surprise de la prévenance de Dieu. D’accord, il est un peu brutal avec ce « Fou… », mais cela a l’avantage de réveiller cet homme. Car on ne sait pas la suite. La parabole s’arrête brutalement. Peut-être simplement parce que l’homme est mort cette nuit-là et s’est retrouvé en Dieu.
Creusons encore un peu… et faisons-le en conservant en imagination l’écho de la seconde lecture du jour avant qu’elle ne soit plus que l’ombre brumeux d’un souvenir. Faisons-le, sans chercher à faire de la morale trop vite.
Un matin d’octobre 1962, je suis né. Ma vie fut courte, éphémère. La dira-t-on vaine ? Car quatre jours plus tard, j’étais plongé dans les eaux du baptême. Je mourrais avec le Christ pour avoir ma vie désormais cachée dans la sienne, auprès du Père… et, ici, maintenant, au quotidien, depuis, j’ai la sienne cachée en moi, me renouvelant de manière secrète. Je n’étais déjà plus un gentil poupon, le fils de mes parents. Sorti des eaux baptismales, j’étais du Corps du Christ, avec des frères et des sœurs… Il ne s’agit pas de moi seulement. Ceci est le cas de tous les baptisés. C’est votre cas. Notre vie n’est plus à nous. Elle ne nous appartient plus. Elle ne s’engrange ni ne se possède. Elle nous échappe… comme la buée et les nuées éphémères. Elle s’échappe pour que paraisse de plus en plus ce qui dure, ce qui est fidèle, ce qui nous tient vraiment, depuis notre baptême : le Christ, sa vie, la miséricorde réconciliatrice qui rend vrai et éloigne le mensonge et ses illusions. Ça, ça tient. Cela nous tient, nous fait tenir, peut nous rassembler en vérité. Croire cela, espérer cela n’est pas vain. Tout est vanité ? Tout, peut-être… sauf ce qui vit du Christ, réconcilié avec Dieu et dans le Christ, réconcilié entre frères et sœurs! Si cela est assuré, je dirai avec Qohélet : « Tout est vanité »!