Voici l'Agneau de Dieu
Fr Franck Dubois op Strasbourg
Jn 1, 29-34
Jésus vient à Jean. Oh, il n’a pas l’air redoutable celui qui s’approche – une limpide douceur brille sur sa face. Doucement s’avance l’agneau que Jean désigne et accueille en le laissant le dépasser. Le fougueux, l’impétueux Jean qui baptise à grand renfort d’eau et de pénitence se fait tout doux ; c’est pourtant presque contraire à sa nature. Jean-Baptiste se fait donc violence d’être doux parce que l’agneau, Jésus, vient à lui désarmé. Désarmant. Croyez-vous qu’un agneau s’approcherait d’un homme violent, qui crie et gesticule ? Non. Les violents peuvent bien s’emparer de l’agneau pour le tuer. Son mystère leur restera à jamais caché.
Ceux qui veulent comprendre l’agneau pour qu’il leur révèle ses secrets, ceux-là n’ont d’autre choix que de cultiver la paix, la patience, pour ne pas effrayer l’agneau qui jamais ne vient en s’imposant. Car il vient par derrière-toi l’agneau. Il se fait plus petit. Lui cèderas-tu la place pour qu’il passe devant ? Fais-toi discret pour qu’il ose te dépasser en chemin sans forcer son passage. Regarde-le maintenant et souviens-toi de te méfier des apparences. Devant, ce n’est plus un agneau. C’est le lion de Judas qui tranquillement, devant toi, avance. D’où vient sa puissance, lui qui semblait si frêle ?
C’est que l’agneau si pur attire la colombe. Elle l’accompagne toujours cet oiseau venu du ciel, pour fondre sur lui tel l’aigle et lui apporter en onction la force d’en haut, la puissance de Celui qui a pouvoir sur terre, aux cieux et aux enfers. Jean-Baptiste a vu ce que nous ne voyons pas encore parce qu’il était pur, de la pureté de l’agneau et de la colombe – il leur était semblable et pouvait voir le lion dans l’agneau, l’aigle dans la colombe, la force dans la faiblesse.
Pour nous, tout reste voilé et cependant, levons les yeux vers les siècles passés. Là-haut, l’agneau nous fait signe au plus haut, sur la voûte. Au croisement des axes, où la tension est la plus forte au coeur des puissances qui se font face surgissant de la terre profonde. Voyez comme les pierres de cette église nous dévoilent l’agneau, dont la douceur sublime transforme les forces opposés en fondations solides, enracinées au ciel. Tout vient par lui parce que tout converge en lui. Il demeure l’agneau, aussi, au croisement de nos propres forces et violences au noeud de nos contradictions intenables et irrésolues, là en ton sein puisqu’il accueille toutes ces forces et ces pulsions qui font ta vie, ces péchés et ces grâces, puisqu’il comprend tout il te fera tout comprendre. Clef de voûte et clef de lecture qui éclaire même ta nuit. Il engloutit tout dans sa blessure ouverte. L’agneau que tu laisses passer devant toi sur la route est un signe qui saigne. Son sang t’indique, écarlate, le chemin de ta gloire.
Un autre que Jean-Baptiste, bien après lui, a partagé sa candeur. Il fit du signe de l’agneau le sceau de son premier monastère. A Prouilhe, la clef de voûte en forme d’agneau est un des rares vestiges de cette antique fondation. Dominique, doux et humble, au coeur des tensions de son temps, au croisement des hérésies traversant son Eglise, fit lui aussi fléchir les puissants par son invincible douceur.
L’agneau, voilà donc l’autre saint nom de Jésus célébré aujourd’hui. Nous sommes entrés dans le cloître pour l’apprivoiser. Il nous faut, en adulte, retrouver l’innocence de l’enfant. La tendresse du petit pâtre, tout jeune berger qui joue à l’agneau. Qu’il nous livre ses secrets. Ce n’est pas la force que Dieu veut éprouver au monastère, mais notre faiblesse. Il n’y a qu’elle qui convaincra l’agneau.
Soyons donc humbles et patients sans lui bloquer la route. Devant nous, il s’avance. Patience. Soyons fidèles jusqu’au bout en suivant le lion paisible.
Silence, tout s’effondre sur son passage,
tout ce qui n’est pas d’amour.