Solennité de l'Epiphanie A
Fr JM Gueullette op Lyon
Matt 2. 1-12
Au début de leurs évangiles, Luc et Matthieu ont placé des récits que Jean et Marc ne connaissent pas, que nous appelons généralement les évangiles de l’enfance. Annonciation et visitation, nativité, adoration des bergers et des mages, massacre des saints innocents : si ces pages ne sont pas les plus historiques du nouveau testament, ce sont souvent celles que nous connaissons le mieux, tant elles ont marqué notre imagination dès l’enfance, et inspiré d’innombrables œuvres d’art. Oui, nous connaissons bien l’histoire qui vient de nous être racontée, au point de ne plus avoir besoin de la lire. Au point de l’avoir copieusement enjolivée en y ajoutant des rois qui n’y sont pas. Au point d’en avoir un peu perdu de vue l’impact assez scandaleux qu’une telle histoire pouvait susciter dans les milieux juifs du temps de Jésus. Nous avons noyé tout cela sous des galettes, des fèves et un peu de folklore, et nous n’entendons plus rien du coup de tonnerre qui retentit en ce jour dans l’histoire des hommes : Dieu s’est manifesté, il s’est donné à voir dans la pauvreté d’un nouveau-né. Dieu s’est manifesté en premier lieu à des hommes peu recommandables. Dieu s’est manifesté non seulement par l’enfant, mais par le comportement de
Même si cela fait quinze jours que nous célébrons le mystère de la Nativité, il serait bon de ne pas trop vite nous y habituer. Au cœur de la foi chrétienne, à sa source et à son origine, Dieu s’est manifesté, en se donnant à voir dans un corps d’homme. Il s’est uni à notre nature pour que nous puissions avoir accès à la sienne. Il est né en notre monde pour naître en chacun de nous. Et ce n’est pas dans la naissance d’un grand personnage que nous le contemplons, mais sous les traits du premier-né d’un couple pauvre, presque à la rue. La belle histoire aurait pu s’arrêter là, nous aurions eu largement de quoi fêter Noël.
Mais aujourd’hui, nous contemplons sa manifestation en nous arrêtant sur le fait que Dieu s’est manifesté en premier lieu à des hommes peu recommandables. Dans la nuit de Noël, notre regard se portait sur des bergers. Nous les avons aussi noyés dans du folklore, pour être sûrs de ne pas entendre combien cela est choquant pour la foi juive de cette époque que Dieu choisisse de tels témoins. Ces bergers, non seulement incultes, mais surtout vivant dans une telle proximité avec les bêtes, vivant en état d’impureté permanent loin du Temple et de la synagogue : comment auraient-ils pu observer la Loi et honorer Dieu ? Ce sont pourtant ces hommes au parfum rustique qui sont les premiers chantres de la Nativité. Et voici qu’aujourd’hui entrent en scène des personnages tout aussi frelatés, bizarres et gênants. Des mages venus d’on ne sait où. Pas des juifs, en tous cas. Ils sont venus de loin de l’étranger, guidés par une étoile, car ils étaient des mages. Pas plus que les bergers, ils n’avaient lu Isaïe, ils n’avaient rien entendu de l’enseignement des rabbins, ils ne connaissaient pas la loi.
Ils ont pris la route, appuyés sur un savoir qui n’était pas le savoir officiel en Israël, sur une science qui n’était pas celle des Écritures, celle qui normalement permettait de savoir discerner la venue du Messie. Les spécialistes du Messie, les pharisiens et les scribes, pouvaient voir la même étoile, mais n’ont rien vu.
Mages, sans doute des pratiquants de quelque doctrine spirituelle ou ésotérique peu fréquentable. Imaginez, pour avoir une idée du choc que devrait susciter ce récit que dans la nuit de Noël arrive au monastère un groupe de trois personnes, un directeur de librairie ésotérique bulgare, une thérapeute somato-énergétique venant de Californie et un marabout sénégalais spécialiste des puissances de la nuit qui demanderaient à voir la prieure en disant « nous avons capté qu’il y a un événement énergétique fort chez vous cette nuit, nous venons nous connecter. » Imaginez l’accueil chaleureux qui leur serait certainement réservé.
Nous ne savons pas grand-chose de ces mages. Pourquoi sont-ils venus ? Pourquoi voulaient-ils adorer ce roi qui n’était pas le leur ? Croyaient-ils même en Dieu ? Nous n’en savons rien, mais ce qui est sûr, c’est que si nous les croisions aujourd’hui, nous ne manquerions pas de leur poser toutes ces questions pour savoir un peu à qui nous avons affaire. Mais dans le récit, personne ne leur pose de question.
Ils sont venus, ils ont adoré en silence, ils ont déposé leurs présents et sont repartis. Ils avaient accompli leur mission. Et nous ne savons pas qui ils étaient, nous ne savons pas en quoi ils croyaient. Rien ne nous dit qu’ils se sont convertis. Ils ne sont pas devenus disciples. Ils sont venus adorer, ils le trouvent, ils adorent et ils s’en vont.
Ils ne se retournent pas vers le public pour exulter de fierté, pour nous dire qu’ils avaient raison, que leur savoir est le meilleur et que les scribes sont des nuls. Car ils ne sont pas venus pour cela. Ils sont venus pour adorer.
Ce ne sont pas les mages qui nous racontent ce matin leur succès, c’est l’évangile qui nous raconte cette histoire pour nous faire entendre que Dieu s’est manifesté et que cette manifestation déborde toutes les frontières dans lesquelles l’homme pourrait être tenté de l’enfermer.
Si nous voulons bien les regarder et voir ce que le récit nous met sous les yeux, les mages ont accompli une mission essentielle. Dieu avait besoin d’eux pour se manifester. Leur présence atteste que le Messie n’est pas venu seulement pour le peuple d’Israël qui, seul l’attendait. Dès l’entame de l’Évangile, grâce à eux, les païens sont inclus dans l’histoire du salut, comme Dieu l’avait annoncé par les prophètes. Mais cela, c’est l’initiative de Dieu.
En ce saint jour de l’Épiphanie, prosternons-nous une fois encore devant la crèche et devant l’enfant Dieu. Offrons lui l’hommage de notre silence.
Serrons-nous un peu dans l’étable pour laisser de la place à ceux qui viennent de loin, à notre grande surprise, pour adorer comme nous.
Osons lever les yeux vers ceux qui participent, aujourd’hui encore, à la manifestation de Dieu là où nous ne l’attendons pas. Ils sont peut-être étrangers, ils nous paraissent peut-être bizarres, ils ne partagent peut-être pas notre foi. Ils ont des démarches spirituelles qui nous semblent incompréhensibles ou un peu louches. Et pourtant, si nous savons regarder, il y a peut-être dans leurs comportements, dans leurs attentes, dans leur quête de Dieu quelque chose qui vient nous déloger de notre confort, et attirer notre attention pour que nous voyons enfin que Dieu s’est fait chair, que Dieu s’est fait proche de chacun de nous. Pour le salut de tous. Pour nous les hommes et pour notre salut, il a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme.