4ème Dimanche de Pâques A
P Michel Mounier
Jn 10. 1-10
La voix !
Il y a quelques années, il m’est arrivé dans cette église une histoire amusante. Nous célébrions l’eucharistie avec un groupe de personnes en situation de handicap de la région lyonnaise. A la sortie, un couple m’attendait, des membres de l’aumônerie de cet établissement. Ils me disent : c’est très étonnant, vous avez tout à fait la même voix qu’un prêtre de Saint-Étienne, Michel Mounier. Ah bon, mais où-est-ce que vous avez entendu cette voix ? C’était à une rencontre de l’ACO à Villefontaine. Effectivement, j’y étais. C’était bien moi qu’ils avaient entendu mais sans du tout mémoriser mon visage. Cela nous dit que la voix est une identité forte. Elle a les mêmes caractéristiques que les empreintes digitales : unique. Dans l’Évangile, la voix est omniprésente, essentielle. La Parole est portée par une voix.
Dimanche passé, nous avons entendu le récit des pèlerins d’Emmaüs. Lorsqu’ils reconnurent Jésus à la fraction du pain, ils se souvinrent que leur cœur brûlait au dedans d’eux lorsqu’il leur parlait en chemin. Ce qu’il leur disait, et sa voix. Aujourd’hui, il nous est dit que les brebis suivent le berger parce qu’elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un étranger. Sur la route d’Emmaüs, quelque chose au fond d’eux avait reconnu le Maître en dépit de la désespérance. Deux mille ans après, cette voix résonne toujours. La voix de celui qui nous nourrit et garde notre liberté.
Elles le suivent car elles connaissent sa voix.
Le chrétien est un disciple, pas le fidèle d’un gourou. Le disciple est appelé à devenir un ami, un intime. « Je cherche des amis, dit le Petit Prince. Qu’est-ce que signifie apprivoiser ? Cela signifie créer des liens. Si tu m’apprivoises nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde. » Jésus, notre ami, ne nous tient pas enfermé. Il veut des amis, pas des esclaves. Il n’y a pas d’obligation, de nécessité d’entrer dans cette amitié. Dans notre pays et plus largement, nous le savons bien : d’autres que les chrétiens vivent avec générosité, avec une passion intelligente pour le monde, tout en étant devenu non pas hostile, mais radicalement étranger à la foi en Christ. La porte qu’est le Christ est absolument gratuite. Aucune obligation, pas de péage, pas de droit d’entrée, pas de piège.
Remarquons que la parabole a ses contradictions internes, fécondes car l’Église n’est pas un troupeau. Jésus nous dit que le berger appelle les brebis, qui forment un troupeau dans un enclos, chacune par leur nom. Voilà le défi : Jésus nous appelle tous et il appelle chacune, chacun. Défi, oui, car il nous faut à la fois répondre comme communauté et comme sujet singulier. C’est une difficulté pour toute communauté, pour les familles, pour l’Église, pour notre société, pour l’Union Européenne, entre sécurité sanitaire et respect des libertés individuelles. Et pour l’humanité. On le voit bien aujourd’hui avec les tensions entre l’OMS et tel ou tel pays.
De façon plus personnelle, c’est un défi pour la foi de chacun. Si je ne suis en relation avec Dieu qu’en face à face, ce qui est plus fréquent aujourd’hui où les appartenances collectives sont en crise, qui alors me dira que Dieu est plus grand que ce que j’en perçois ? Mais si je ne suis que ralliement à la foi des autres, si je me contente de suivre le troupeau, comment ferai-je l’expérience que Dieu n’appelle pas un troupeau mais appelle chacun, m’appelle par mon nom ? Comme le Ressuscité a simplement dit un jour : « Marie ».
Ce berger-là est amoureux de chacun. Il ne souhaite pas une communauté conforme. Celle dont l’ordre viendrait dire qu’en fait elle est morte, qu’elle ne respire plus. Le don de Dieu est allergique aux dictateurs de toute sorte. Le grand inquisiteur de Dostoïevski l’a bien compris qui dit à Jésus revenu sur terre qu’en repoussant les tentations au nom de la liberté, il a fait le malheur des hommes, incapables pour la plupart de vivre les principes évangéliques de liberté et d’amour : « Tu as offert la liberté aux hommes mais ceux-ci n’en veulent pas. Leur liberté, ils l’ont humblement déposée à mes pieds. » dit-il. L’Église devrait alors épargner aux hommes le poids de la liberté par l’usage du mystère, du miracle, de l’autorité.
Le Dieu de Jésus lui élargit le cœur, l’esprit et la volonté. Il aime et respecte les méandres de chaque vie. C’est le Dieu d’Abraham, de Moïse, de Jésus.
Comme eux sortons même si nous restons dans un monastère. Vivons à plein ? Dans le respect bien sûr de notre vie, de celle des autres, des contraintes sanitaires. Mais vivons en liberté. Méfions-nous des fripouilles qui savent séduire par des lignes trop droites pour être humaines. Entendons l’appel de notre nom. Entrons en son amitié. Et nous aurons la vie, en abondance.