26ème Dimanche du TO A
Père Michel Mounier
Mat 21. 28-32
Si nous sommes là, c’est sans doute que nous avons adhéré à l’Evangile, que nous avons répondu oui. Peut-être de manière radicale. Engagés dans la mission pour le faire connaître. Est-ce à dire que nous sommes allés à la vigne ? Probablement mais pas forcément. Sans doute avons-nous sans cesse le mot amour à la bouche, mais où est notre amour ? Pendant que nous prêchons l’amour, des hommes et des femmes meurent de violence ou de misère. Alors où est la vigne, où est le lieu du combat ? Dans nos cathédrales, dans nos liturgies, dans nos salles de conférence ? Peut-être, sans doute même, espérons-le. Mais l’Evangile ne se satisfait pas d’idées généreuses, même très efficaces. Il veut la tendresse humaine, le regard échangé, la marche soudain suspendue pour s’arrêter à celui ou celle qui attend d’être reconnu, appelé par son nom. L’Evangile veut la proximité. Aller à la vigne, c’est sortir, se déplacer.
Le très bel hymne aux Philippiens nous fait contempler l’immense déplacement du Christ. Parce qu’il est, littéralement, en forme de Dieu, c’est-à-dire amour, il ne peut retenir pour lui son « être-comme-Dieu », contrairement à l’accusation du serpent devant Adam et Eve. Il faut qu’il le partage, et, du coup, qu’il partage aussi notre condition d’homme. Jusqu’au bout, c’est-à-dire aussi bas que nous pouvons aller. Il faut qu’il soit en tout et partout Dieu-avec-nous et Dieu-comme-nous. Telle est l’exigence de l’amour. Dieu n’est jamais autant Dieu que lorsqu’il éprouve notre humanité. « Preuve insigne de l’amour », dit encore Paul. Preuve insigne qu’il est amour dit la lettre de Jean. Mais la logique de l’amour, si elle exige que Dieu se fasse comme nous, ainsi l’Incarnation est déjà dans la création, exige aussi qu’il nous fasse comme lui : homme, le Christ reçoit le Nom au-dessus de tout nom, et le titre de Seigneur. Dieu comme l’homme, l’homme comme Dieu ; le cercle de l’amour est bouclé. Et tout à l’heure, je prierai en votre nom : « puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité ».
Ayez en vous, et entre vous, les attitudes du Christ Jésus. C’est la trajectoire de l’amour, la nôtre peut-être. Si nous n’allons pas vers le plus bas, nous ne pouvons aller vers le plus haut. « Le très bas » écrit Maurice Bellet. Au plus bas, les publicains et les prostituées s’y trouvent. Au plus haut les chefs des prêtres et les anciens sont persuadés d’y être. A quoi bon se déplacer ? Bien-sûr, mais voilà, ce n’est pas là-haut que le Christ vient rejoindre les hommes. Alors la rencontre ne peut se faire. Impossible ! Ce n’est plus l’échelle de Jacob qui monte jusqu’au ciel et les escaladeurs de barreaux débouchent dans le vide de leur propre vide. Non, ce n’est pas parce qu’on est puriste, intransigeant, toujours en règle avec la loi qu’on est forcément proche de Dieu. Et ce n’est pas parce qu’on est le peuple choisi, ou l’Eglise du Christ qu’on est dispensé de conversion. Ce n’est pas parce qu’on a dit oui un jour qu’on est débarrassé d’avoir à le redire chaque jour. Et ce n’est pas parce qu’on a dit, ou que l’on dit aujourd’hui non qu’on ne dira pas oui un jour à venir ! Puissions-nous suivre le Christ où il est allé et va aujourd’hui.