29ème Dimanche du TO A
Fr Luc Devillers op
Is 45,1.4-6a ; 1 Th 1,1-5b ; Mt 22,15-21
Les lectures de ce dimanche me rappellent trois inscriptions lues en Terre sainte (j’ai vécu quinze ans à l’École biblique de Jérusalem) : une récente et deux anciennes. Tout d’abord, dans la partie occidentale de la Jérusalem moderne, il existe une Rue Koresh (toute petite). Or, Koresh est la version hébraïque du nom Cyrus, le roi dont Isaïe nous a parlé ce matin. Au vie siècle avant notre ère, ce roi de Perse a permis à l’élite juive exilée à Babylone de revenir en Israël et d’y rebâtir le Temple. Vous avez bien entendu : ce roi païen, Dieu et le prophète Isaïe l’appellent « messie » (en grec : « christ ») ! Comble d’ironie : c’est le chef de l’empire perse, dont le descendant actuel est l’Iran, farouche ennemi d’Israël (et vice versa) !
Deuxième souvenir : sur la côte ouest d’Israël se trouve le site archéologique de Césarée-Maritime, ville fondée par Hérode le Grand en l’honneur de l’empereur romain. C’est là qu’on a découvert une stèle mentionnant le « préfet de Judée » Ponce Pilate. C’est là que Pierre a baptisé le premier païen (le centurion Corneille), et que Paul s’est embarqué pour ses voyages missionnaires. C’est là qu’au iiie siècle Origène a fondé un centre d’études bibliques, en dialogue avec les rabbins. C’est là encore qu’au début du ive siècle l’évêque Eusèbe a rédigé sa fameuse Histoire ecclésiastique, sur l’épopée chrétienne depuis ses origines. Donc, un site incontournable pour les étudiants de l’École biblique. Or, il y a trente-cinq ans (quand j’étais étudiant), la partie byzantine du site était encore inexplorée. Mais notre guide nous a amenés à un endroit précis, il a dégagé le sable, et deux médaillons en mosaïque, d’environ 50 cm de diamètre, sont apparus. Ils portaient de grandes inscriptions en grec : des citations du Nouveau Testament, une première en Terre sainte ! Nous avons alors rêvé : serions-nous devant un pavement de la bibliothèque fondée par Origène ? Non, les mosaïques sont trop tardives. Quant à la citation du Nouveau Testament qu’elles contiennent, elle provient du chapitre 13 de la lettre de Paul aux Romains, et dit : Si tu veux ne pas avoir à craindre l’autorité, tu n’as qu’à faire le bien. Sur un des médaillons la citation continue par ces mots : … et tu en recevras des éloges (Rm 13,3). Alors que cette lettre de Paul est si riche sur les plans théologique et spirituel, pourquoi ce pavement byzantin portait-il une citation si fade ? La réponse est venue dans les années 90, avec le progrès des fouilles. Une fois dégagé, le site des médaillons a révélé son identité : c’était le vestibule de l’hôtel byzantin des impôts ! Autrement dit, pour faire entrer l’argent dans les caisses, le service byzantin du fisc avait réquisitionné saint Paul : Dieu le veut, payez vos impôts et vous n’aurez pas de problèmes avec le pouvoir en place !
Nouveau souvenir de Césarée. Dans une autre partie du site, on a dégagé une villa romaine. Sur son seuil, une mosaïque portait cette inscription grecque : Que demeure la paix des chrétiens ! J’ai consulté des ouvrages techniques et interrogé un archéologue, mais apparemment on ne connaît pas d’autre exemple d’une telle formule. Que peut bien vouloir dire ce vœu ? Est-ce le témoin d’un conflit entre factions chrétiennes, un conflit enfin apaisé ou dont un citoyen souhaitait l’achèvement ? Pas sûr. Serait-ce la trace d’une joute interreligieuse ? C’est douteux. Est-ce tout simplement un bel éloge, non plus de la pax romana érigée en système politique par l’empire romain, mais de la pax byzantina ou christiana, royaume ou civilisation issue de la foi en Jésus, vrai Prince de la Paix ?
Ces souvenirs évoquent le rapport entre ce que saint Augustin appelle les deux cités : la terrestre, avec son organisation politico-économique, et la céleste, celle de l’Apocalypse où règnent la paix et la justice de Dieu. En payant l’impôt, non plus à César, mais au fisc de leur pays, les chrétiens se soumettent-ils aux pouvoirs publics ? Comme dirait un de nos politiciens, n’y a-t-il rien au-dessus des lois de la République ? Jésus répond, en étonnant ses interlocuteurs : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ! Il ne s’agit pas de scinder notre vie en deux – la semaine pour la politique, le dimanche pour Dieu –, car toute notre vie appartient à Dieu. Mais, en société, l’exercice du pouvoir politique est légitime et nécessaire : « La soumission à l’autorité et la coresponsabilité du bien commun exigent moralement le paiement des impôts, l’exercice du droit de vote, la défense du pays », dit le Catéchisme de l’Église catholique (CEC § 2240). « Fratelli tutti », ajoute le pape François : la crise actuelle, sanitaire, météorologique, politique, civilisationnelle, nous invite à nous soucier de notre maison commune, mais sans idolâtrer ce monde. Dieu seul mérite notre amour inconditionnel et le don total de nous-mêmes.