5ème dimanche de Carême B
Fr Jean-Michel Maldamé op
Jn 12. 20-33
Donner un sens à sa vie, c’est aussi donner un sens à sa mort. Il nous faut décliner le verbe « donner » à tous les modes, en la plénitude de son sens. C’est ce que fait Jésus aujourd’hui pour nous et avec nous.
En observateur minutieux, l’évangéliste Jean nous rapporte la dernière manifestation publique de Jésus devant la foule à Jérusalem. Jésus sait que les pouvoirs en place dans la ville sainte ont tenu conseil et décidé de l’éliminer ; ils attendent l’occasion favorable pour le prendre au piège qu’ils tissent contre lui. Jésus sait que le piège est sur le point de se refermer. Que faire ? Or voilà qu’une brèche apparait dans leur stratégie. Des Grecs en pèlerinage à Jérusalem pour la célébration de la fête de Pâques invitent Jésus qu’ils désirent connaître mieux que par ouï-dire. Il serait alors possible de les rejoindre et profiter de l’occasion pour quitter Jérusalem avec eux et ainsi sauver sa vie. Jésus écarte cette perspective. Il le fait lucidement ; il s’en explique par une image qui dit le sens de cette décision : le sens de sa vie donnée. « Si le grain de blé semé en terre ne meurt pas, il reste seul ; s’il meurt il porte beaucoup de fruit ». Ainsi Jésus donne sa vie. Il refuse de fuir à l’étranger, car ce serait mettre fin à sa mission. Ce faisant, il accepte sa mort prochaine. Ce n’est pas un destin aveugle auquel il se soumet, c’est un don de sa vie.
Dans la rigueur de son récit, l’évangéliste Jean note que cette décision est prise en toute lucidité. La perspective d’une mort cruelle et injuste, une mort dans la force de l’âge, suscite en Jésus un bouleversement. Tout son être est ébranlé. Il le demande à son Père que cela n’advienne pas. Il crie dans le noir, d’une peur plus noire que toute nuit, plus sombre que tout désespoir. C’est au plus creux de cet abime que Jésus choisit de vivre ce qui a tout l’air d’être un échec, un non-sens.
Alors, nous rapporte l’évangéliste Jean, le Père que Jésus a invoqué lui répond. Le Père à qui Jésus a remis sa vie lui répond que cette mort infâme s’ouvrira sur la vie. Ainsi la vie publique de Jésus s’achève comme elle a commencé : par une parole du Père – si les témoins du moment n’en peuvent comprendre le sens, ils en ont l’attestation.
Jésus ne laisse pas ses disciples dans l’incertitude et dans l’obscurité du doute. Il explicite le sens ; il dit la raison et le pourquoi qui fondent son choix. Par sa mort, par sa croix, Jésus prendra la tête de l’humanité pour la conduire à la vie éternelle. Prendre la tête ce n’est pas prendre une position de prestige, mais de responsabilité. Ce n’est pas une position plus confortable, mais au contraire vivre ce qui est le plus amer de la peine de vivre. Jésus le fait pour conduire l’humanité à la vie éternelle en ayant rejoint le plus profond de la détresse humaine.
Dans ce consentement rien de morbide, mais un amour pour une vie plus grande, plus large, plus belle parce qu’enracinée dans l’amour qui est l’être même de Dieu. C’est ce qu’exprime l’emploi du mot « père » par Jésus.
Jésus a refusé d’aller se mettre à l’abri avec les Grecs. Il n’y a là aucun mépris parce qu’en faisant ce qu’il fait, Jésus se donne à eux. Jésus ne donne pas sa vie seulement pour ses amis ou pour son peuple (le peuple élu), mais pour tous les peuples. Donc aussi pour nous, pour notre humanité qui vit à l’ombre de la mort – la mort biologique, mais aussi la terrible mort de la disparition des raisons de vivre et de l’amour perverti. Jésus donne sa vie pour le salut de tous ayant été le plus loin possible dans les profondeurs de la détresse humaine. Il est le grain jeté en terre qui porte beaucoup de fruit : un fruit d’éternité.