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5ème Dimanche du TP B

Frère Pierre Januard, o.p.

Porter du fruit.

Jn 15. 1-15

Porter du fruit. C’est l’aventure de toute la création. Toute la création est à la gloire de Dieu lorsqu’elle est fidèle à l’intention du Créateur et nous venons de l’entendre : « C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit ». Ce fruit porté comme disciples du Christ s’inscrit dans toute l’histoire du salut. Souvenez-vous, dès le premier chapitre de la Genèse, Dieu crée la terre pour qu’elle porte du fruit (Gn 1, 11), et l’homme et la femme, dès leur création, sont des « êtres pour le fruit », ils reçoivent comme mission constitutive de leur existence le soin de la terre : « Soyez féconds et multipliez, remplissez la terre et dominez-la » (Gn 1, 28). Mais que font Adam et Eve ? Au lieu de cultiver le fruit (Gn 2, 15), ils le mangent, au lieu de cultiver le jardin, ils s’y cachent. Alors, comme pénitence, ils souffriront en portant du fruit : la femme, dit la Genèse, accouchera dans la douleur et l’homme travaillera à la sueur de son front (Gn 3, 16-19). Ainsi, depuis la création, d’un côté l’homme est fait pour porter du fruit mais d’un autre côté, par le péché, cette fécondité est blessée et douloureuse.

Porter du fruit, c’est la vocation de la création, c’est aussi ce qui établit la qualité de cette création : « C’est au fruit que l’on reconnaît l’arbre » (Mt 12, 33), dit Jésus dans l’évangile. Il préfère même un fruit mélangé, comme dans la parabole du bon grain et de l’ivraie (Mt 13, 24-43), qu’une absence de fruit. Jésus semble même sévère dans les paraboles où l’homme qui devait porter du fruit se contente de rapporter exactement ce qu’il avait reçu, sans l’avoir fait fructifier : la vigne est confiée à d’autres vignerons (Mt 21, 33-46), et que dire de la parabole des talents (Mt 25, 14-30) ou de celle des mines (Lc 19, 11, 28)… Ainsi, Jésus condamne-t-il le figuier qui ne porte pas de fruit : « Il lui dit : ’Jamais plus tu ne porteras du fruit !’ A l’instant même le figuier sécha » (Mt 21, 19). Ces gestes et ces paroles, plus que d’une sévérité, témoignent plutôt de l’ordre de la création, de notre vocation profonde. La raison d’être de la création, sa finalité, ce pour quoi elle est faite, c’est de porter du fruit. Ainsi la sanctification personnelle du chrétien, sa vie de témoignage et d’annonce de l’Evangile, la condition apostolique et missionnaire de l’Eglise s’inscrivent-elles dans cet appel qui résonne depuis la nuit des temps. Nous pouvons parfois croire que porter du fruit, c’est faire quelque chose « en plus », produire une œuvre extérieure à nous-mêmes, seconde, comme une conséquence, comme une nouvelle étape. Je suis chrétien, mais devenir saint sera une nouvelle étape, témoigner de l’Evangile sera une nouvelle étape… Nous pouvons être saisis de crainte face à ce qui apparaît comme une nouvelle mission pour laquelle nous ne sommes pas certains d’être bien équipés, d’être prêts. J’essaye d’être un bon chrétien, mais être saint, c’est autre chose ; faire découvrir le Christ, c’est autre chose. Cela me dépasse… cette crainte est bien naturelle… pourtant, depuis la première page de la Genèse, la Bible nous dit le contraire. Toute l’Ecriture nous enseigne qu’il n’y a pas de création de l’arbre si ce n’est pour qu’il porte du fruit, qu’il n’y pas de création de l’homme sans qu’il gouverne la terre pour lui faire porter du fruit, qu’il n’y a pas de première communauté chrétienne, dans les Actes des Apôtres qui ne soit un chemin vers la sainteté, qui transformera les reniments et les fuites du vendredi saint en témoignages de foi jusqu’au martyre, et un lieu d’évangélisation jusqu’aux limites du monde. Nous sommes naturellement faits pour porter du fruit. Aucune crainte à avoir. Simplement être fidèles à ce pour quoi nous sommes faits, être pleinement hommes et femmes, être pleinement attachés au Christ. Si nous sommes faits pour le fruit, alors nous n’avons pas à nous préoccuper de ce fruit : de remplir les églises, d’avoir des vocations dans nos communautés ou dans nos diocèses, d’avoir des enfants ou des petits-enfants qui prennent la suite de notre foi… Répondons simplement à l’appel de Dieu, vivons pleinement notre vie d’hommes, de femmes, de chrétiens. C’est dans cette vie que le fruit est déjà en germe et de cette vie qu’il naîtra.

Si porter du fruit c’est être soi-même, devenir pleinement ce que nous sommes, cela ne s’accomplit qu’en écoutant la Parole de Dieu. Dans la Bible, depuis la Genèse, c’est la parole qui donne la vie, c’est la parole qui du fruit. Souvenez-vous de la parabole du semeur (Mt 13, 3-9) : « La semence, c’est la parole de Dieu » (Lc 8, 11), explique Jésus. Mais la Parole de Dieu, le Verbe, c’est le Christ. C’est la vigne à laquelle, comme le sarment de l’évangile d’aujourd’hui, nous devons rester attachés. Ecouter Dieu dire en nous la parole qui porte du fruit, c’est grandir dans l’intimité avec le Christ, dans le silence et l’accueil de sa présence : « Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas porter du fruit par lui-même s’il ne demeure sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi » dit Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui.

Porter du fruit, ce n’est pas multiplier les œuvres, c’est créer les conditions pour que la parole tombe dans la bonne terre, pour que la sève puisse passer de la vigne au sarment. C’est grandir dans la disponibilité et l’écoute pour nous laisser conduire. Se laisser conduire et consentir à se laisser purifier, émondé, taillé à la forme de Dieu, dans l’ascèse et l’aridité parfois, mais toujours la confiance du fruit à venir et qui sera l’œuvre du Père : « Tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage ». Alors, quand il aura coupé tout ce qui n’est pas digne de sa création, tout ce qui fait obstacle à son œuvre, tout ce qui ne vient pas de l’Esprit Saint et qui n’apporte pas la charité, la joie et la paix (Ga 5, 22), le Seigneur pourra contempler la nouvelle création et l’homme nouveau que nous serons : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait, c’était très bon » (Gn 1, 31).