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1er Dimanche de Carême C

Fr Joseph-Thomas Pini op

Dimanche 6 mars 2022 – 1er Carême C

Lc 4, 1-13

Le désert, l’épreuve, deux combattants face à face, et des effets spéciaux en prime : un décor de western ou de film de guerre posé par l’Evangéliste, et par Matthieu (là où Marc est très succinct et le quatrième Evangile muet). La scène pourrait paraître quelque peu grandiloquente, et de surcroît insolite, placée, avec ses airs de final, en début de scénario. Pourtant, rien de bizarre, ni d’emphatique ou de surjoué. Au début de tous nos Carêmes, la péricope évangélique dominicale met sous les yeux de notre intelligence de la foi, et au secours de notre volonté, l’épisode de la mère des batailles dans la tentation au désert de Jésus.
Il peut sembler incongru, voire indécent, d’employer une telle expression presque galvaudée, alors que les violences et les drames de la guerre reviennent, depuis quelques jours, secouer, troubler et blesser l’espace européen, qui plus est entre nations proches, en inquiétant et crispant le monde entier. Alors aussi que l’élection cardinale de notre vie nationale est entrée dans sa phase de dispute la plus active, nonobstant la tournure du débat (ou non-débat). Mais la somme, empilée jusqu’au ciel au point de le défier, des ambitions, des appétits, des trahisons, des vengeances, des mensonges, des violences de tous ordres, qui n’apparaît que trop dans les évènements du monde si on les regarde du simple point de vue de la nature de l’homme, cette liste funèbre n’avoue-t-elle pas la source des maux que l’homme inflige à l’homme ? Ne trahit-elle pas, derrière toutes les explications plus ou moins savantes ou honnêtes, que, sous un regard qui veut privilégier l’Evangile, les causes proches et lointaines des conflits et des compétitions de pouvoir sont secondes par rapport à la cause primordiale, présente dans le monde depuis la faute des anges déchus, et dans le cœur de l’homme depuis la faute d’Adam ? La voici donc, dans l’assaut de Satan et la réponse victorieuse de Jésus, la mère des batailles. Elle résume le péché, elle dévoile les combattants premiers, elle dit la nature et l’enjeu de la confrontation.
Dans la triple attaque du démon, apparaît effectivement et en quelque sorte la matrice du péché, tout comme la somme des péchés sera comme concentrée lors de la Passion et de la mort du Christ sur la Croix. La matière du péché : on y retrouve les appétits désordonnés de toute sorte, l’ivresse d’une liberté débridée et faussement souveraine, le désir de posséder et de dominer. Le mécanisme de la tentation : par deux fois, le Père du mensonge, comme au jardin d’Eden, insinue, présente faussement et va jusqu’à travestir et détourner la parole de Dieu, brouillant l’intelligence et la confiance, détournant de l’amour du Seigneur vers l’amour de soi ; lors de la troisième, il cesse son jeu, et, mentant de nouveau sur sa seigneurie réelle, lui qui est créature déchue, il exige une contrepartie, un donnant-donnant qui referme et dénature le bonheur au lieu de l’ouvrir. La logique et la nature du péché : une revendication de soi-même contre Dieu, qui finit par imposer la tyrannie d’un autre, qui n’est pas soi-même et qui s’est originairement posé en rebelle contre Dieu.
Si elle dévoile les armes et les projets du démon, la confrontation est mère des batailles parce qu’elle dévoile aussi le Christ, Sa mission et le dessein de Dieu. Le Tentateur s’interroge sur ce personnage insaisissable qui s’expose volontairement à l’épreuve de la solitude, de la faim et de la soif qu’Il assume, et l’intelligence supérieure du beau Lucifer est aveuglée par sa haine de Dieu. Par trois fois, contre le mensonge, le blasphème et l’appel à la rupture, c’est la Parole de Dieu qui vainc, dans trois versets de l’Alliance conclue au désert dans le don de la Loi. La victoire est au Verbe de Dieu qui, en permettant d’être tenté, nous enseigne. Le Christ est aussi révélé comme unissant nature humaine et nature divine, de manière unique, incompréhensible sans la foi et aussi l’amour qui permet d’achever la compréhension de l’amour de Dieu Sauveur. L’épreuve dans la chair qu’endure Jésus dit également le dessein de Dieu : la chair ayant été vaincue et blessée lors de la chute d’Adam et d’Eve, c’est dans la chair que va s’accomplir la victoire sur le péché et la mort. Le combat du Christ n’a pas que valeur exemplaire et encourageante : déjà source de vie, il est le premier signe de la victoire finale du Sauveur obtenue par la mort sur la Croix. Et la note propre à la variante de Luc : « jusqu’au moment fixé », le fait opportunément comprendre : c’est le premier affrontement de la grande bataille qui se livrera et se dénouera à Gethsémani, au prétoire de Pilate et au Golgotha qui a lieu dans le désert, et que le Christ n’esquive pas.
Cette bataille est donc mère, mère de tous nos combats. Nous voici prévenus. Il y a combat, un combat personnel, dès lors que nous ne fuyons pas le désert de la vérité de notre condition de pécheur, ce désert où l’Esprit nous pousse et nous guide, nous aussi, pour y rencontrer Dieu qui nous y attend dans la lumière de la Vérité, pour nous redire Son amour et nous redonner sans cesse Sa grâce et Sa force. Un combat à mort, car l’enjeu est bien celui-là. Un combat qui dure, morsure d’amertume et de rancœur, d’envie, de doute, de découragement dans nos faims, nos désirs où Dieu et l’Adversaire sont au rendez-vous. Il y a un engrenage aussi : de besoins essentiels, le désordre et le mensonge font peu à peu une rupture, ruisseaux devenant fleuve torrentiel, fuite devenant désastre. Mais nous voilà aussi rassurés. De ce désert, le Dieu de l’Alliance fait sortir les siens, colonne de nuée et de feu qui les garde et les guide, qui les délivre du péril mortel, et Il leur parle et les nourrit. Du combat, l’issue, pour celle et celui qui ne quitte pas le Christ des yeux, est victorieuse, de la victoire de la Croix. Le chemin d’épreuve, il est celui du Christ, ouvert par Lui, et nous y passons avec Lui et en Lui, vers la Vie et dans la Vérité.