Fête de la Transfiguration 2022
Fr Maxime Allard op
Lc 9, 28b-36
Jésus priait. Il priait Dieu sur les montagnes ou dans des endroits déserts. Il priait seul ou avec d’autres. Il enseignait à prier et à prier sans se décourager.
Jésus priait. On ne sait pas grand-chose de sa prière, quant au contenu. Mais trois fois dans l’Évangile selon saint Luc, lorsque Jésus prie, quelque chose d’inattendu se produit et vient, en quelque sorte interrompre la prière. La première fois, cela a lieu au baptême de Jésus : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait »… et « le ciel s’ouvrit ». Vous connaissez la suite : « L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. ».
La dernière fois que Jésus prie, sa prière est plus dramatique, insistante. C’est à Gethsémani, pendant que ses amis dorment. Jésus priait, disant : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » Ici encore, c’est le rapport du Fils au Père qui est en jeu. Mais il ne faut pas oublier la suite. Pas de colombe, pas d’Esprit Saint… mais « alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait. »
Entre ces deux se situe l’épisode retenu pour notre célébration de la Transfiguration.
Jésus priait, avec Pierre, Jacques et Jean, comme à Gethsémani. Les disciples s’endormaient. Mais cette fois, ils ne parviendront pas à s’endormir. Jésus priait et fut transformé : « Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. » Déjà là, il y aurait matière à être surpris, désarçonné, apeuré… comme les disciples. S’il n’y avait que cela. Mais Moïse et Élie s’invitent, discutent avec Jésus de son « départ », de ce qui sera la coupe que Jésus boira selon la volonté de son Père. Tout cela a l’air d’avoir lieu sereinement, sans l’émotion ou les gouttes de sang. Il semble bien que Pierre, Jacques et Jean n’y ont rien compris. Mais ne pas comprendre ce qui se passe peut être stressant, épuisant sans que le sommeil ne vienne calmer la peur ! Puis, d’un coup, Moïse et Élie disparaissent de la scène.
Pourtant rien n’est fini. Voilà que le Père en rajoute : « une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Écho de l’épisode de la prière de Jésus lors de son baptême. Alors la voix s’adressait à Jésus. Ici elle s’adresse à Pierre, Jacques et Jean… et à nous.
Est-ce un récit imaginaire et sophistiqué qu’on pourrait peut-être vouloir un mythe ? Pas vraiment. Pierre insiste dans son épître. Il n’a pas recours à ces subterfuges. C’est le meilleur récit, le témoignage le plus fidèle qu’il puisse donner d’une expérience personnelle (et commune avec Jacques et Jean). Il témoigne d’une expérience qui n’aura pas été fondé sur la vue car dans un premier temps, Jésus éblouissant aveugle presque et, par la suite, une nuée vient aussi troubler la vue. Pierre ne parvient pas à interpréter cet événement autrement que comme la réception par Jésus de l’honneur et de la gloire du Père. C’est une confirmation que Jésus est vraiment le Christ, le Seigneur qui vient sauver, qui vient pardonner les péchés, qui relève la fille de Jaïre, guérit, calme la mer… Cette expérience personnelle vient comme une réponse que Pierre, Jacques et Jean reçoivent à une question qui ne cessait de retentir entre eux et autour d’eux : « qui donc est cet homme Jésus qui pardonne, qui commande au vent et à la tempête…? » Quelles sont nos expériences de salut, personnelles et communautaires, qui nous permettraient de dire et de croire que Jésus est le Fils de Dieu qui sauve ?
Est-ce un récit imaginaire sophistiqué ? Il me semble que la discussion entre Moïse, Élie et Jésus à propos de son départ, de son exode, de sa mort à Jérusalem, vient ancrer dans le réel ce qui se joue ici. Jésus venait de déclarer : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. » Il leur disait à tous : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. » Cette logique travaillait Jésus. Il me semble approprié qu’elle intervienne dans sa prière aussi. D’autant plus que la discussion porte sur le départ, l’exode, la passion, la mort… la transfiguration complète la discussion, si vous voulez, en faisant surgir inopinément des lueurs pascales.
Autrement dit, la transfiguration ne donne pas lieu à une morale, à une leçon éthique, à un encouragement pastoral. Elle est toute tournée vers la confession de la foi pascale et de l’identification de Jésus au Fils de Dieu et au service prophétique de Dieu. La voix du Père nous donne les mots pour croire en son Fils qui, à son tour, nous parle du Père. Leur Esprit nous rend réceptif au Père et au Fils bien-aimé.
Autrement dit, nous sommes invités à nous réjouir de pouvoir confesser à notre tour, comme le Père : voici Jésus le Fils du Père, écoutez-le! Ces mots pourraient être les premiers et les derniers de tous nos témoignages, de toutes nos prédications.
Suspendons pour quelques temps notre tentation à chercher ce que nous pouvons retirer de cela. Joyeusement reconnaissons qui est Jésus pour le Père. Soyons reconnaissant de ce que le Père l’ait choisi, l’ait envoyé en notre monde… Pour le reste, imitons les disciples. Gardons le silence. Laissons la Parole faire son travail en nous… L’Esprit du Fils de Dieu saura bien nous ouvrir la bouche en temps opportun… tant pour prier que pour témoigner!