21ème Dimanche du To 2022
Fr Damien Duprat op
Lc 13, 22-30
En écoutant cet Évangile, peut-être êtes-vous comme moi partagés entre deux réactions opposées ? Si nous nous mettons à la place de ces pauvres gens qui tambourinent en vain à la porte du Royaume, nous trouvons peut-être que Jésus manque un peu de miséricorde. Mais cette scène tragique devient sans doute plus acceptable à nos yeux si ces malheureux prennent le visage de tel ou tel tyran connu de l’histoire, ou de telle personne qui nous a fait du mal : car il faut bien qu’il y ait une justice. Parfois cela nous arrangerait bien que le Seigneur utilise deux poids, deux mesures : miséricorde pour nous et nos amis, justice pour les méchants. Mais en réalité, il ne fait pas de différence entre les personnes : il est miséricordieux pour tous et juste pour tous. Regardons cela d’un peu plus près.
Jésus nous a révélé que l’amour de Dieu est pour tous et sans condition aucune : autrement dit, pour nous aimer, le Seigneur n’attend pas que nous fassions quoi que ce soit. Il nous aime, c’est un fait, et son amour pour nous est inébranlable, infiniment plus solide que le rocher le plus résistant. C’est d’ailleurs pour nous une raison permanente de lui rendre grâces.
Mais Jésus nous révèle aussi qu’il en va autrement concernant l’entrée dans son Royaume. Là, il y a des conditions, et à longueur d’Évangile il nous dit lesquelles, si bien qu’on ne saurait lui reprocher de nous cacher les choses ou de nous attendre au tournant. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, il met en garde ses contemporains israélites contre une illusion qui les menace : celle de croire que leur appartenance au peuple élu leur donnerait de facto un droit d’entrée dans le Royaume de Dieu. Mais non : s’ils commettent l’injustice, leur dit Jésus, ils seront jetés dehors tandis que le Paradis sera ouvert à ceux qui ont fait le bien, même s’ils ne font pas partie du peuple d’Israël. Tel est l’enseignement qui ressort des lectures d’aujourd’hui.
Ce serait donc une erreur de croire ce que nous dit une chanson bien connue, même si elle est déjà assez datée : « on ira tous au Paradis, qu’on ait fait le bien ou bien le mal »… C’est simplement contraire à ce que le Christ nous révèle ! Sans doute voulons-nous nous prémunir contre les « infox » en tous genres (les fake news). Pour ce qui touche au Royaume des Cieux, la source d’informations la plus fiable est sans aucun doute la Bible : c’est là qu’il faut chercher.
Notre époque réagit de façon assez opportune contre une spiritualité qui insisterait trop sur la peur d’être exclu du Royaume, la peur de l’Enfer ; mais prenons garde à ne pas verser dans l’excès inverse en nous imaginant que saint Pierre aurait abandonné son poste de gardien à l’entrée de la maison de Dieu. D’ailleurs, trouverions-nous normal que le Seigneur accueille indifféremment dans son Paradis ceux qui l’aiment et ceux qui s’opposent à lui ou qui font du mal aux autres sans jamais s’en repentir ?
La miséricorde de Dieu ne consiste pas à fermer les yeux sur les mauvaises actions des hommes, sans rien faire pour qu’ils s’améliorent. Sa miséricorde le pousse plutôt à nous envoyer des bouées de sauvetage pour nous sauver des eaux dangereuses du péché et de la mort. Elles peuvent se présenter à nous par exemple sous la forme d’appels suaves qui réchauffent notre cœur pendant un moment de prière ; parfois, il s’agit plutôt d’une planche de salut, une planche de bois rugueuse comme peuvent l’être les leçons dont nous parlait la lettre aux Hébreux, leçons qui nous permettent de prendre conscience de nos fautes afin de ne plus recommencer. Le Seigneur n’est pas comme un papa gâteau qui laisse ses enfants faire toutes leurs bêtises sans protester ; d’ailleurs, si tel était le cas, cela voudrait dire qu’il ne nous aimerait pas vraiment. Il est bien plutôt un père très aimant qui désire voir ses enfants grandir en sainteté, et qui pour cela se montre exigeant, sans pour autant renoncer à sa tendresse.
Peut-être me direz-vous : fait-il encore preuve de tendresse quand il refuse à certains l’entrée dans son Royaume ? En vérité, il les aime toujours, car il ne saurait cesser d’aimer ses créatures. Mais chaque être humain porte dans les mains son propre destin éternel. Le Christ est venu au sein de l’humanité une première fois pour nous ouvrir un chemin de salut ; il viendra une seconde et dernière fois, dans la gloire à la fin des temps, et alors ce sera pour juger les vivants et les morts, comme nous le disons dans notre Credo. L’intervalle de temps entre ces deux moments-clés de l’histoire a déjà duré deux millénaires, et nous ne savons pas combien de temps il va encore se prolonger. Quoiqu’il en soit, nous avons chacun l’espace de notre vie, ni plus ni moins, pour recourir à la miséricorde infinie de Dieu. Au terme de notre existence, il nous rendra selon ce que nous aurons fait : telle est sa justice. Alors il sera trop tard pour nous réveiller si par malheur nous avons vécu sans chercher à accomplir le bien qu’il nous était donné de faire. Il sera inutile de mettre en avant, par exemple, une familiarité superficielle avec Dieu ou avec son Église. Ce que Dieu regarde en nous, c’est la vérité de notre cœur, car il connaît et nos actions et nos pensées (cf. Is 66,18). Comme le disait saint Jean de la Croix : « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour ».