26ème Dimanche de To 2022
Père Michel Mounier
Lc 16, 19-31
Nous entendons cet évangile aujourd’hui, à l’heure où notre humanité est traversée par une grave crise qui déjà accroît les inégalités, certes dans notre pays mais bien plus encore entre les nations. La montée des nationalismes en Europe et dans le monde, où seule compte notre propre situation, résonne profondément avec ce que Jésus disait aux pharisiens et nous dit aujourd’hui.
J’ai souvent entendu parler de ce texte comme la parabole de Lazare et du mauvais riche. Or Ce riche anonyme n’a fait de mal à personne. Pour autant qu’on le sache ce n’est ni un pervers ni un salaud intégral. Il n’avait pas de jet privé mais il menait grand train, c’était son droit, il était riche. Il faisait même sans doute marcher le commerce, créant des emplois. Et pourtant, Jésus lui consacre une de ses paraboles les plus dures, inquiétantes même pour nous. Sa faute : non ce qu’il a fait mais ce qu’il n’a pas fait, il s’est absenté du lieu du combat, là où se jouent faim ou satiété, vie ou mort. Il a fait comme si le pauvre n’existait pas. Pourtant il existe, il a un nom, Lazare. Alors que lui le riche n’à pas de nom. Ce n’est qu’un consommateur, une cible pour le marketing. Et pourquoi donc Lazare était-il réduit à la misère ? Peut-être après tout était-ce de sa faute. Il a peut être manqué de courage ou d’initiative. On parle aujourd’hui du cancer de l’assistanat. Mais cela ne change rien à l’affaire. Pour le Christ, c’est lui le plus important.
Le riche lui a supporté que l’image de Dieu, cet homme, soit devenu ce mendiant. Et qui méprise un homme les méprise tous, et Dieu avec. Il y a tant de façons de donner, de notre temps, de notre surplus d’argent, et même, j’en suis parfois témoin, de notre peu d’argent. Il y a tellement d’organismes en manque de bras ou d’argent. On y reçoit souvent plus qu’on n’y donne. Le riche lui n’ayant rien donné a tout perdu. Il a laissé le grand abîmé se creuser entre lui et Lazare. A l’heure du bilan, il est brûlé par les flammes, celles de sa solitude. Il a gâché sa vie. N’oublions pas cependant, que ce récit n’est pas le tout de l’Évangile. N’oublions pas que le Christ est venu sauver ce qui était perdu. Tout n’est pas fini. Et hier à vêpres nous avons entendu que la miséricorde l’emporte sur le jugement. Mais ne faisons pas jouer à cette annonce de la miséricorde le rôle d’alibi de nos démissions.
Cette parabole est la première forme que prend la miséricorde du Christ pour les riches. Une alerte, une invitation. Tu n’as pas écouté, nous n’avons pas écouté Amos, Abraham et les Prophètes ! Alors voici maintenant, Jésus qui sans relâche nous presse de tourner le regard vers celui qui a besoin de nous. Et avec Jésus, c’est tout autre chose que nous entendons. Ce n’est pas une injonction morale. Ce n’est pas un rappel de la Loi. Ce sont ces paroles-là : « c’est à moi que vous l’avez fait, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait ». A moi. Il est Lazare, Il est le blessé sur la route de Jéricho. Lui que nous appelons Seigneur vient prendre la place du pauvre, du persécuté. Comment feindre l’indifférence et manquer le Christ parce ce que nous aurions manqué le pauvre. Nous connaissons les enjeux mais la parole du Christ a-t-elle vraiment pénétré en nous ? Ne ratons pas la seule richesse qui vaille ici et maintenant : la richesse en humanité qui est aussi richesse en divinité.
Hier matin mon homélie s’arrêtait là. Puis je me suis aperçu que nous étions le dernier dimanche de septembre, jour de prière dans l’Église pour les migrants. Heureuse coïncidence. Et dans son appel pour cette journée, François nous dit : « Construire l’avenir avec les migrants, les réfugiés. La construction du Royaume de Dieu se fait avec eux, car sans eux ce n’est pas le royaume que Dieu veut. L’inclusion des plus vulnérables est une condition nécessaire pour obtenir la pleine citoyenneté. » En illustration de cette journée, le journal la Croix présente le cheminement du père Meyer, prêtre du pas de Calais de sensibilité très classique, issu d’un milieu familial et social qu’il présente comme politiquement conservateur. Étonnement son évêque l’envoie à Calais. Ce sera son chemin de Damas. « Donner de la nourriture aux exilés, discuter autant qu’on le peut a changé mon regard. » Il nous dit aussi : « Quand on est à Calais, (on pourrait compléter la Villeneuve, Firminy, la Ricamarie), à Calais donc les belles prières universelles paraissent souvent curieuses si, derrière, il ne se passe rien. » Que notre prière soit la plus vraie possible et fasse de nous ces artisans du Royaume que Dieu veut.