4ème Dimanche du To A
Fr Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond op
Mt 5, 1-12a
On parle parfois de la morale des Béatitudes, donnée par Jésus, assis en maître sur la montagne, morale qui viendrait répondre à celle des dix commandements donnée par le premier maître du peuple, Moïse, sur une autre montagne. Mais essayez donc de faire de ces béatitudes un manuel de morale, la listes de choses à faire, à vivre pour être en règle :
pauvreté, mmh, ça peut aller ; pleurer, je coche la case ; la douceur ? en progrès ; persécutions pour la justice et le nom du Seigneur ? Note à moi-même : penser à y penser … D’ailleurs la liturgie ne nous propose pas d’entendre Moïse sur le Sinaï en première lecture, mais Sophonie prophétisant le petit reste d’Israël, peuple de pauvres et assemblée des humbles. La loi dit ce qu’il faut faire ou éviter, elle est un guide ; les béatitudes ne nous disent pas ce qu’il faut faire, elles nous disent qui nous sommes.
Ce que nous sommes ? D’après Paul aux Co, pas grand chose. Je vous rappelle ce qu’il disait : non mais, frères et sœurs, regardez-vous ! Ce qu’il y a, parmi vous de bras cassés, parmi nous d’intelligences limitées. Regardons-nous : ce qu’il y a de faiblesses du corps et du cœur. Paul aurait encore raison aujourd’hui : pas beaucoup de belle naissance, de puissance, d’influence ; nous ne sommes pas même beaucoup. Il ne s’agit pas d’être faussement humbles, ou d’être modestes coquettement … mais de nous voir, de voir notre Église comme elle est : pas toujours de quoi faire les fiers, ni de quoi pavoiser. Ceux qui mettent leur fierté dans la grandeur d’une histoire, des œuvres accomplies, dans la beauté d’un patrimoine … au lieu de la mettre en Jésus d’abord, ceux-là se trompent.
Ce que nous sommes ? Entendons-le, de la bouche du Christ : qui nous sommes. Plutôt, puisque c’est une constante dans la vie chrétienne, puisque nous sommes créés à l’image de Dieu et recréés pour sa ressemblance, entendons d’abord qui Il est. Chez Mt, le premier mot que Jésus adresse à ses disciples, après avoir pour la première fois pris la position du maître qui enseigne, c’est celui de bonheur. Il y a huit bonheurs dans la bouche du Christ, et tous disent d’abord le bonheur qui est le sien d’être le Fils de Dieu dans la chair de l’homme. L’homme heureux, c’est d’abord Jésus Christ, et il a vécu chacune des béatitudes : lui, le premier, a été pauvre, a pleuré, il a plus que quiconque eu faim et soif de justice, été doux, tellement, et pur et pauvre et pacificateur. Lui, le premier, a été consolé, rassasié, héritier de la terre, appelé fils de Dieu, Lui, pour toujours il voit Dieu. Voici, ce que nous sommes, notre vocation : le bonheur, heureux, parce que, c’est une promesse, nous serons consolés, rassasiés, héritiers de la terre, appelés fils de Dieu.
Ensuite, nous pouvons faire des béatitudes un guide, pour apprendre à voir ce qui en nous, autour de nous, a besoin du Seigneur. Ce qui est pauvre, pour qu’il l’enrichisse ; affamé, qu’il le rassasie ; violent, pour qu’il le pacifie ; pécheur, pour qu’il lui fasse grâce. À nous, aussi, de voir ce qui en nous et autour de nous, à commencer sans doute dans l’Église, a besoin d’être appauvri, même peut-être humilié pour être un peu plus humble, réformé pour un peu plus de justice. À nous de voir et d’entendre ceux qui pleurent et refusent d’être consolés. À nous de décider, chacun et tous ensemble, ce que nous pouvons vouloir, dire et faire pour que ce bonheur ne reste pas un mot, une promesse facile en l’air ; ce que nous avons à vivre pour que ce beau mot de bonheur soit audible, que ce bonheur que nous annonçons soit crédible. Et il ne le sera que dans la mesure où, à la suite du Christ, nous assumerons, traverserons tout ce qui fait violence à l’homme, ce qui le fait crier, pleurer, mourir, le met au désespoir et en enfer, que nous dénoncent les béatitudes.
À chaque fois que nous tâchons de vivre à la profondeur des béatitudes, cette profondeur dont le Seigneur lui-même nous a montré par sa vie que l’homme était capable, alors, nous manifestons la vérité de la première et de la dernière des béatitudes. Peut-être vous l’avez noté, ce sont les seules qui ne sont pas au futur, mais au présent : « le royaume des cieux est à eux », on pourrait aussi traduire : « le royaume des cieux vient d’eux ». Qui nous sommes ? Un peuple pauvre et petit, aux mains de qui Dieu a voulu confier le bonheur de l’homme, notre Royaume : Jésus Christ.