19ème Dimanche du To A
Fr Maxime Allard op
Mt 14, 22-33
Rappelez-vous, dimanche dernier, nous étions sur la montagne, sur le Thabor. Nous y étions avec Pierre, Jacques et Jean. Nous avons été plus ou moins apeurés ou apaisés selon le moment de l’expérience ou nos personnalités. Nous y voyions et n’y voyions pas Jésus tant la lumière était vive, la nuée lumineuse. Pas facile de voir ou de vouloir contempler dans ces conditions. Mais une voix, la voix de Dieu le Père, dans la nuée nous incitait à écouter plus qu’à voir, à écouter avec confiance malgré le choc de la révélation : ce Jésus était son Fils bien-aimé. La voix dit ce qu’elle avait à dire. Puis elle se tait. Pas de dialogue. Pas d’échanges de propos pour assurer, certifier ou rassurer. Ni Pierre, ni Jacques ni Jean ne se prosternent devant Jésus pour l’acclamer avec les mots de la voix du Père. Ils descendent et Jésus, redevenu à son apparence ordinaire, habituelle, leur enjoignait de se taire jusqu’après sa mort et sa résurrection.
Ce matin, dans la première lecture, il y a bien encore une montagne. C’est une montagne importante, l’HOREB, lieu de la révélation de Dieu à Moïse, lieu de l’Alliance avec le peuple. Le prophète Élie y séjourne. Mais la tonalité est complètement différente de celle de dimanche dernier. La lumière n’occupe pas le devant de la scène. Par contre, il y a du vent, de l’ouragan, du bruit… une brise légère… puis un silence pour le passage de Dieu.
Aujourd’hui, contraste marqué avec ces deux montagnes, nous sommes avec les mêmes : Pierre, Jean, Jacques, et quelques autres disciples, en mer, sur une mer agitée. Une tempête fait rage. Nous ne contrôlons plus la barque sur ces éléments déchaînés. Avec eux, comme eux, nous avons peur, l’angoisse nous saisit. Et, en plus, loin de la lumière et des nuées lumineuses, nous sommes dans la nuit noire, enténébrée de nuages noirs et la mer est sombre, profonde, noire, peuplée de monstres marins. Au lieu d’une voix, le vent hurle. Pas facile de voir ou d’entendre quoi que ce soit. Et lorsqu’on finit par voir, c’est comme un fantôme qui surgit dans le noir, sur la mer, un fantôme calme malgré les vagues et le vent. Sa voix traverse le bruit. Elle dit : « Confiance, c’est moi. N’ayez plus peur ! » Aujourd’hui encore, dans l’évangile, Jésus a l’air et n’a pas l’air de lui-même. Difficile de le reconnaître, d’être certain, de faire confiance. Sa voix rassure… à moitié. Car, alors, Pierre – encore lui – se fait prudent : « si c’est bien toi… » ! Jésus ne relève pas le ton et le propos hypothétique. Il dit simplement : « Viens »… On connaît la suite… Contrairement à dimanche dernier, à la fin, tous ceux qui sont dans la barque se prosternent et déclarent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
Dans la vie, il y a des moments d’exaltation et des moments d’angoisse. Des moments de lumière, des moments enténébrés. Dans les deux cas, nous sommes, malgré nos peurs, invités à confesser que le fils de Marie, le fils du charpentier Joseph de Nazareth, est le Fils bien aimé de Dieu. Rien de moins. Rien de plus. Cette confession, semble-t-il, suffit à redonner espoir, à faire jaillir de la confiance. Pas beaucoup de foi, peut-être moins qu’un grain de moutarde, mais assez de foi et une foi qui va à l’essentiel !
Dans nos moments d’angoisse, nous craignons de perdre pied. Normal. Comme Pierre… Pas facile de poser un pied solidement sur une mer déchaînée, avec des vagues incessantes, depuis une barque ballotée. On se concentre sur nos pieds et, si je puis dire, sur le sol mouvant. On veut avancer. On hésite. On le tente. On se lance parce qu’on nous a dit de venir, parce qu’on a confiance en la Parole de Dieu qui dit « viens »… mais notre attention porte sur nos pieds et sur les vagues. On perd de vue l’horizon. On perd de vue le but fantomatique qui nous a aiguillonné et nous fait oser moins nous jeter à l’eau bravement que tenter d’y avancer lentement. On peut en venir à douter, à hésiter, ce à quoi nous avions fait confiance, la voix qui nous avait donné d’oser risque fort de se perdre dans les bruits du dehors et du dedans. On risque alors de perdre pied, de commencer à sombrer, à tomber. Alors, seulement, on s’adresse de nouveau, angoissé, à qui nous avait appelé, interpellé, invité, incité à aller le rejoindre. Et, répondant à notre foi minimale, à une confiance viscérale malgré la tempête, une main nous secourt.
Qu’il s’agisse de s’avancer vers quelqu’un (connu ou inconnu et connaît-on jamais vraiment quelqu’un ?), qu’il s’agisse d’une personne, du Christ, de sa Parole, de l’Église qui est son corps, de « Dieu », le sol est rarement stable, la distance à parcourir peu obvie, la route étroite et mal balisée. Nous nous retrouvons dans le clair-obscur… à part quelques moments fulgurants et exaltants. Nous tâtonnons.
D’où l’intérêt de faire confiance en communauté, de nous soutenir mutuellement dans la confession de la foi. Après tout, il s’agit de la foi de l’Église dans laquelle nous avons été plongés au baptême. Nous pouvons alors dire, avec courage ou en hésitant : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! » Car en Église, nous ne sommes pas tous en même temps dans la même tempête ou sur la même montagne lumineuse. Nos voix s’entremêlent, se confondent et on entendra une même confession : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »Nous le faisons dans l’espérance. Nous confessons et espérons que Jésus, le Fils de Dieu, vient réconcilier l’humanité avec son Père, réconcilier les peuples, réconcilier le peuple qui a donné naissance au Christ Jésus et l’Église.
Savourons ensemble les moments calmes pendant lesquels la Parole de Dieu, le Christ, semblent « évidents », éclairants, rassurants et pas fantomatiques. Soyons solidaires, les jours de tempêtes et de ténèbres. Célébrons le mémorial des ténèbres de la mort à travers lesquels le Fils de Dieu est passé avant de ressusciter. Célébrons la présence et l’avenir promis par le Fils de Dieu ! Faisons Eucharistie !