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13ème Dimanche du To

Fr Maxime Allard op

Mc 5, 21-43

On pourrait imaginer que le tout a commencé lentement. Comme dans la scène autour du matelot tué, dans le film Le Cuirassé Potemkin d’Eisenstein… On s’assemble autour de Jésus. Puis, un attroupement se forme. Jésus est rapidement entouré, presque cerné par la foule. Dieu merci, il y a le lac derrière lui.

Puis ça pousse de tous les côtés. On se presse autour de Jésus. On pourrait dire qu’on le presse comme un citron… puis, nous l’avons entendu, c’est comme si on l’écrasait. La description de la situation ressemble à une foule dans une rame de métro à Paris à l’heure de pointe ou pire encore peut être dans bus romain bondé… Vous êtes touchés de partout. Chacun est en contact avec plusieurs autres. Ce n’est pas toujours très agréable… Mais ça bouge. Ça avance, comme une vague, comme un essaim.

Cette foule, tout à coup, est fendue. Elle s’ouvre pour laisser un passage à un personnage important, puissant, à un chef de synagogue. On s’écarte. Devant Jésus, sans le toucher, il tombe à ses pieds et supplie. Pendant ce temps, au sein de la foule compacte, une femme considérée, selon la Loi, comme impure, est invisible, impuissante, à bout de sang, à bout de vie, à bout d’argent… mais pas à bout de désir… une femme ne fend rien. Personne ne s’écarte pour la laisser passer. Personne ne fait attention à elle. Elle doit, avec difficulté, se frayer un minuscule passage. Elle se faufile… pour s’approcher de Jésus… s’approcher juste assez pour toucher la frange de son manteau. Elle n’espère pas un espace pour s’agenouiller devant lui et lui adresser une supplique. Elle ouvre un passage temporaire, fragile, éphémère, pour tenter d’étirer sa main et frôler le manteau de Jésus. Puis, elle espère disparaître, être engloutie dans la foule, anonyme parmi des anonymes qui s’empressent autour de Jésus. Cependant, elle sera repérée par Jésus. Comme le chef de synagogue, à sa place peut-être, elle se jette aux pieds de Jésus et lui raconte ce qui vient d’arriver. La foule se fendra pour la laisser passer car Jésus lui dit « Va en paix ». Elle disparaît.

Puis il y a un autre moment, une autre scène. Là, Jésus chasse les gens, crée de l’espace, ne conservera auprès de lui que quelques personnes : le chef de synagogue et son épouse, à peine quelques disciples. Dans cet espace paraît un corps inerte. C’est celui de la fille du chef de la synagogue et de son épouse. Jésus, délibérément, s’avance, la touche en lui tenant la main. Ce qui se passe là ne devrait pas être ébruité et ne devrait pas arriver jusqu’à la foule.

(…)

On peut toucher Jésus de bien des manières, avec des effets différents. On peut être touché par le Christ de bien des manières, avec des effets divers.

Le chef de synagogue touche Jésus par sa supplique à propos de la situation dramatique de sa fille de douze ans. Touché, Jésus est prêt à aller y voir, à apporter salut et vie à cette jeune fille. Jésus, cependant ne touche pas ce chef.

La femme à toute extrémité physique, économique, sociale, trouve la force et la détermination à frôler Jésus de sa main… tout en le touchant, sans rien dire pourtant, avec la puissance de sa confiance. Le geste de cette femme, ancré dans un raisonnement simple (« si je le touche, je serai sauvé »), touche Jésus. Mais, ici encore, Jésus ne la touche pas.

La jeune fille « endormie » ne touche pas Jésus. Il semblerait qu’elle ne touchera plus à rien puisqu’elle est crue morte. Jésus la touche, lui prend la main. Elle se lève, marche et mange.

Puis il y a la foule, par contiguïté, les individus qui la composent touchent Jésus. Rien ne se passe. Ils sont pourtant là parce qu’ils se sentent en résonnance avec ce que proclame Jésus. Sa parole et sa présence attirent, agglutinent. Ils forment un tout, anonyme, sans histoire, sans autre désir que d’être auprès de Jésus, quitte à l’écraser, à l’étouffer… Ici le toucher a simplement lieu. Il manque à cette foule et à tous ceux qui la composent quelque chose…

Dans le cas du chef de synagogue et de la femme malade depuis 12 ans, il y a ce quelque chose. Appelons cela du « tact ». Qu’est-ce que le tact ? Une manière réfléchie, voulue, désirée, consentie d’approcher dans la confiance et l’espérance, d’effleurer par un geste et ou quelques mots, dans l’attente d’un toucher en retour… La foi y est déjà à l’œuvre. Elle ne porte pas sur des contenus articulés, proclamés, déclamés mais tourne autour d’une équation simple : Jésus = source de vie et de salut.

Certains jours, encore de nos jours et dans nos vies, nous sommes ce chef de synagogue, suppliant le Christ Jésus, le Fils du Créateur de la vie, pour que vive et soit sauvée une personne aimée, une amie, un ennemi, peu importe. L’Évangile a grandement élargi le spectre des personnes qui nous touchent et pour lesquelles nous pouvons désirer la guérison, la vie, le salut, une libération, une émancipation… L’Évangile, grâce aux récits de la Résurrection du Christ Jésus, a aussi transformé ce que nous pouvons penser de la mort et espérer de la Vie de Dieu. Ces jours-là, nous croyons que nous pouvons nous avancer ouvertement, sans crainte et ne pas être arrêté par ce qui pourrait, par ailleurs, entraver notre rencontre du Christ. La foi est à l’œuvre et nous meut.

D’autres jours, nous sommes comme cette femme. Nous sommes à bout et pourtant nous voulons rencontrer le Christ, malgré tout ce qui pourrait nous en séparer ou nous en rendre l’accès difficile… et ce qui peut nous en séparer, parfois, malheureusement, ce peut être la communauté des disciples elle-même ! Situation tragique au possible. Mais nous parvenons, dans la discrétion, à frôler, à effleurer quelque chose du Christ… et nous en sommes vivifiés. Cette démarche étrange, à la fois assurée et craintive, peut devenir l’occasion d’une véritable rencontre du Dieu de vie, une rencontre qui nous relancera dans la vie. La foi fait déjouer bien des circonstances qui nous sont contraires.

D’autres jours, nous sommes inertes, nous donnons l’impression à notre entourage que nous sommes morts. Nous sommes comme la fille de Jaïre et de son épouse. Et, grâce à l’intercession d’autres personnes pour qui nous comptons, étrangement, nous revivrons. Le Christ Jésus nous aura touché, vivifié, redonné la capacité et le goût de marcher et de manger. Le toucher du Christ nous relance dans l’existence. La foi d’autrui a de l’effet sur l’entourage…

Enfin, d’autres jours, nous sommes dans et de cette foule anonyme. Nous suivons, agglutinés, sans trop nous poser de questions. Jésus est là. Nous en sommes proches. Sa simple présence nous stimule. Peut-être sommes-nous de cette foule parce que notre supplication aura été entendue, parce que nous aurons été guéris, apaisés par la grâce ! Qui sait quand et où nous nous en démarquerons pour supplier ou, furtivement, toucher le Christ. Pourtant, nous devons être attentifs à ne pas devenir comme les disciples qui résistent à l’irruption de l’inattendu, qui résistent à qui demande la vie et le salut au Christ de Dieu…

Si nous sommes ici, en ce dimanche matin, pour célébrer l’Eucharistie, pour partager la Parole, le Corps et le Sang du Christ, c’est que nous croyons avoir été relevés de morts et stimulés à espérer un supplément de vie depuis notre baptême. C’est que nous croyons qu’il est possible d’être, à nouveau, autrement encore, touché par la Parole de Dieu et par la vie de nos frères et sœurs pour espérer le Royaume de Dieu et en repérer des signes dans notre présent.