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17ème Dimanche du To B

Fr Roger Houngbedji op

Jn 6, 1-15

Chers frères et sœurs dans le Christ,

En écoutant la page d’évangile de ce jour, on est frappé par le regard que porte Jésus sur la grande foule qui le suivait : c’est un regard plein de compassion et de sollicitude. Remarquons que dans l’évangile selon saint Jean (comparativement aux synoptiques), Jésus est le seul à avoir remarqué que la foule qui le suivait était affamée. Apparemment, rien ne prédisposait à faire un tel constat : Jésus était préoccupé jusque-là par les guérisons des malades et par l’enseignement à administrer à la foule. Il est le seul à avoir remarqué que les gens avaient aussi faim.

Jésus a pu faire ce constat parce qu’il était très sensible à la situation des gens qui l’entouraient. Le texte parallèle chez Marc montre que Jésus, à la vue de la foule, « fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger » (Mc 6, 34). Cette attitude de Jésus est bien celle de Dieu le Père Lui-même qui reste très sensible à la situation des hommes. Dieu se laisse en effet toucher jusqu’aux entrailles par la situation de détresse où se trouvent les humains. Et c’est là le vrai sens de son amour miséricordieux pour les hommes.

Ce regard attendri de Jésus est pour nous une invitation à avoir la même compassion par rapport à la situation dramatique que traverse aujourd’hui notre humanité. Comment, dans une société qui est la nôtre, ne pas rester sensible à la situation des milliers de migrants qui traversent mers et déserts, avec tous les risques que cela suppose, pour venir se déverser dans les pays d’Europe, parce que manquant de pain ? Comment ne pas rester sensible à la foule immense des déplacés de guerre (en provenance d’Ukraine, de Syrie, du Moyen Orient) qui cherchent désespérément un lieu sûr où s’établir ? Comment ne pas être sensible à tous ces pauvres du quart-monde qui nous côtoient au jour le jour, quémandant leur pain quotidien et vivant dans des conditions les plus désagréables ?

Voilà, chers frères et sœurs la situation dramatique qui frappe notre humanité aujourd’hui et qui sollicite de notre part une vraie compassion. Face à une telle situation, nous ne pouvons pas rester indifférents. Ce serait manquer de responsabilité face au drame humain. Comme à son disciple Philippe, Jésus nous pose la même question : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? ». Ou encore : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ».

Face à cette invitation de Jésus, nous sommes toujours tentés de dire : « Que pouvons-nous faire face à une telle misère ? » Certains Etats n’hésitent pas à se barricader en optant purement et simplement pour la fermeture des frontières ou la construction des murs. Jésus, dans la page d’évangile de ce jour, propose une autre alternative. Nous pouvons en relever trois actions majeures.

La première action consiste à mettre ensemble le peu de biens dont nous disposons, aussi insignifiants soient-ils. Remarquons que pour procéder à la multiplication des pains, Jésus ne fait rien d’autre que d’utiliser les cinq pains et deux poissons qu’on lui présente. Il a fallu que le jeune garçon qui les propose s’en détache pour que Jésus puisse s’en servir et nourrir la foule. C’est dire que sans l’esprit de détachement par rapport aux biens dont nous disposons (des biens reçus gracieusement de Dieu), le miracle ne pourrait s’opérer.

Oui, le véritable mal dont souffrent les hommes et les femmes de notre temps est l’esprit de thésaurisation, c’est-à-dire le fait de posséder pour soi-même et de vouloir tout ramener à soi-même. Les hommes de notre temps ont du mal à se détacher de leurs biens pour les donner aux autres. Cette fermeture de cœur fait que nous n’arrivons pas à mettre ensemble les biens que Dieu nous donne gracieusement pour faire face au drame humain, le drame de la crise humanitaire qui menace notre monde.

La deuxième action majeure que nous suggère la page d’évangile de ce jour est la reconnaissance de notre radicale dépendance vis-à-vis de Dieu. Dans l’évangile, il est dit que Jésus, prenant les pains et les poissons, les présenta à Dieu en action de grâce. Cet acte posé par Jésus montre qu’il reconnait Dieu le Père comme celui dont dépend toute chose, y compris la vie de l’homme : c’est le pourvoyeur de tout bien. Dieu est non seulement le Créateur du ciel et de la terre, il est aussi le Père dont dépend radicalement la vie de tous les hommes. L’action de grâce et un acte de reconnaissance de la suprématie et de la souveraineté de Dieu sur tout l’univers.

C’est dans ce sens qu’on peut comprendre les supplications du psalmiste dans le psaume responsorial de ce jour : « Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce et que tes fidèles te bénissent (…) Les yeux sur toi, tous, ils espèrent : tu leur donnes la nourriture au temps voulu ; tu ouvres ta main : tu rassasies avec bonté tout ce qui vit ».

Reconnaitre que Dieu est le Pourvoyeur de toute chose, c’est avoir la crainte de Dieu, reconnaitre qu’en dehors de Lui, l’homme ne peut rien faire. Or, la crainte de Dieu semble ce qui manque à l’homme d’aujourd’hui. Les hommes et les femmes de notre temps, à cause des biens de consommation facilités par la science et les nouvelles technologies se sentent suffisants, ils n’ont plus besoin de Dieu. Certains n’hésitent même pas à déclarer que « Dieu est mort ».

Voilà, chers frères et sœurs, le véritable mal qui gangrène le cœur de l’homme aujourd’hui. Ne pas reconnaitre que nous sommes radicalement dépendants de Dieu nous enferme dans une insouciance caractérielle et une incapacité d’agir pour le bien de l’humanité. Cependant, nous reconnaitre dépendants de Dieu, c’est permettre à Dieu d’opérer en nous et à travers nous le miracle qui puisse changer la face du monde, comme ce fut le cas pour Jésus qui donna à manger à plus de cinq mille hommes, à partir de cinq pains et deux poissons.

La troisième action majeure que nous suggère la page d’évangile de ce jour est le partage : « Alors Jésus prit les pains, et après avoir rendu grâce, il les distribua aux convives ; il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils voulaient ». Le pain reçu gracieusement de Dieu est toujours partagé au plus grand nombre de personnes, car Dieu ne donne jamais avec parcimonie, il donne toujours avec largesse, et celui qui partage gracieusement les biens reçus de Lui peut combler les hommes au-delà de leur attente.

C’est ce que réalisa le prophète Elisée en donnant à manger à cent personnes à partir de vingt pains d’orge, tel que nous le montre la première lecture de ce jour. C’est aussi ce que fit Jésus de façon plus remarquable en donnant à manger à plus de cinq mille hommes, avec douze paniers de pains restés en surplus.

C’est dire que Dieu a besoin de notre sens du partage pour bâtir un monde nouveau. La reconstruction de notre humanité – ce que le Pape François aime à appeler notre « Maison commune » – doit être la préoccupation de nous tous. Saint Paul, dans la deuxième lecture de ce jour, nous y invite instamment lorsqu’il dit aux Ephésiens : « Ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un Seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous ».

En prenant conscience que nous formons un seul Corps du Christ, nous devrions nous engager, comme de vrais croyants, pour la cause commune de notre monde et pour la sauvegarde de notre maison commune. Puisse l’Esprit du Christ ressuscité nous habiter et faire de nous, dans l’humilité, la douceur et la patience, les vrais bâtisseurs de l’unité et d’un monde nouveau. Que le Seigneur nous en accorde la grâce, Lui qui vit et règne maintenant et pour les siècles des siècles. Amen !