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Fête de Saint Laurent

Mgr Laurent Ulrich

Jn 12, 24-26

« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas …, mais s’il meurt ; si quelqu’un veut me servir …, et si quelqu’un me sert … » Quatre fois en six lignes, cette proposition conditionnelle. On pourrait croire que le Seigneur marchande le don qu’il fait à son destinataire, et l’honneur qu’il décerne au disciple qui, ici, est d’abord disciple-serviteur. Cette conditionnalité a de quoi nous étonner, elle n’est pas dans le genre de Dieu qui est Celui qui donne. Oui, Dieu donne inconditionnellement, jusqu’à son Fils qui donne lui-même sa vie ; mais il attend de celui qui reçoit un accueil de ce don qui produise du fruit. Paul aux Corinthiens le confirme : « Dieu qui fournit la semence, … vous fournira la graine, il la multipliera, il donnera la croissance à ce que vous accomplirez dans la justice. » Dieu ne cesse de donner, Il ne sait faire que donner, parce qu’il a le désir que le don se multiplie. Voilà pourquoi Dieu aime celui qui donne joyeusement : donner joyeusement, c’est un signe que l’on a reçu joyeusement ce que l’on va partager. Mystère magnifique qui donne sens à nos vies. Qui a donné du sens à celle de Laurent de Rome, à l’infini.

Quand je pense à St Laurent, je pense bien sûr à son humour au milieu des souffrances que le persécuteur lui infligeait ; façon de dire : vous aurez mon corps, vous n’aurez pas ma joie d’être au Christ dans le service des pauvres. C’était un témoignage de la joie de la foi. Comme il y a eu un autre témoignage d’une immense force morale, celui de ce journaliste, Antoine Leiris, qui a perdu sa femme dans les fusillades du Bataclan : « vous n’aurez pas ma haine ». C’était déjà il y a bientôt neuf ans, mais comme c’est important de se rappeler une telle réaction, de maintenir un aussi haut niveau d’exigence devant la haine et le mépris, devant les violences qui s’en prennent à des innocents et à des gens qui font le bien. Avec force morale pour celui-ci, avec humour et aussi humilité, détachement, pour celui-là, la force morale n’excluant pas l’humour et l’humilité loin de là, et réciproquement.

Quand je pense à St Laurent, je pense à cette basilique, mineure paraît-il, à Rome. Elle était hors-les-murs, mais elle ne l’est plus maintenant, pourtant peu de pèlerins s’y rendent ; elle rappelle le martyr de St Laurent, et ses cendres sont peut-être là ; elle a reçu la sépulture de cinq papes, et aussi celle d’Alcide De Gasperi, l’un des pères fondateurs de la Communauté Européenne. Elle fut pendant 5 siècles, du 14è au 19è, la résidence du Patriarche latin de Jérusalem, avant son retour en Terre Sainte. Le 19 juillet 1943, elle a été frappée par un bombardement des Alliés, et le quartier a subi de grands dommages et des victimes ; on a le souvenir que le Pape Pie XII alla réconforter les habitants de ce quartier alors périphérique.

J’aime y aller, notamment à l’occasion des visites ad limina ; je me la rajoute comme une station supplémentaire après les quatre majeures. Elle est silencieuse au milieu de la ville bruyante. Elle est loin des grands lieux de pèlerinages, mais elle est là comme un signe de paix et de joie.

Quand je pense à St Laurent, je pense aux nombreuses églises qui portent son nom. Il y en a beaucoup, et aussi un très grand nombre d’églises qui comportent une, parfois plusieurs représentations de ce saint, en sculpture, en peinture ou en vitrail. Il a été donné en modèle de la façon dont l’Église n’a cessé d’être une maison pour les pauvres de tous les temps. Et particulièrement dans des temps où, prise par l’orgueil, l’attrait du pouvoir et de l’argent, elle rêvait de faire des chrétiens grâce à son génie, par sa puissance extérieure et temporelle. Il y a beaucoup de ces églises dans ces régions alpines, entre Lyon, le Piémont et la Lombardie … là où le commerce et la richesse, à l’époque de Saint François par exemple, envahissaient les cœurs et oubliaient les fragiles, les petits. Dans ces siècles que Pierre Chaunu a appelés le Temps des Réformes, là où la tentation de la puissance a dominé, l’exemple de St Laurent a été donné comme une prédication concrète et un appel à la conversion des cœurs et des pratiques.

Qu’il veille sur notre humilité et notre humour, dans le service du Seigneur et des pauvres. Qu’il garde les serviteurs, tous les serviteurs du Christ, de vouloir dominer, même en servant ! Qu’il entretienne et développe notre joie d’appartenir au Christ.