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24ème Dimanche du To B

Fr Jean Michel Maldamé op

Mc 8, 27-35

Le Fils d’Adam

Et il commença de leur enseigner : ” Le Fils de l’homme doit beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, après trois jours, ressusciter ; et c’est ouvertement qu’il disait ces choses. Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner. Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, admonesta Pierre et dit : ” Passe derrière moi, Satan ! car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! ”

Appelant à lui la foule en même temps que ses disciples, il leur dit : ” Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. » (8, 27-35)

L’événement a lieu à Césarée de Philippe. Sous la plume de Marc, cette précision n’est pas anodine ; elle donne sa pleine mesure à la parole de Jésus en lien avec Pierre. Comme son nom l’indique, Césarée est la ville de César ; c’est-à-dire une ville choisie et construite pour gouverner une province de son empire. Les connotations politiques sont claires et intentionnelle dans l’évangile de Marc, écrit à Rome, par un compagnon de Pierre.

Sur les lèvres de Pierre, l’expression « Fils de David » est un propos politique. Parler de David, c’est nommer le roi qui a fondé à Jérusalem la royauté qui donne son fondement à l’identité juive. Etre juif, en effet, c’est vivre dans l’espérance que vienne le Fils de David, le Messie (en hébreu), le Christ (en grec). Ainsi les deux mots employés par Marc (« César » et « Christ ») sont politiques au sens noble du terme. Il s’agit du gouvernement social et économique, mais aussi de l’identité donnée par l’appartenance religieuse. Deux mots synonymes sont employés pour dire qui est Jésus. Le premier est « fils de David » et le second « Christ ». Ils sont au cœur de la foi chrétienne  qui assume l’espérance messianique biblique. Mais ce n’est pas si simple. Il y a une rupture. Jésus ne prononce pas ces titres. Quand il se désigne à la troisième personne, il n’emploie pas les termes de fils de David, ni de Christ ! Il l’est. Mais il se désigne par une autre expression. Elle est habituellement traduite en français par « Fils de l’homme ». Je préfère traduire « fils d’Adam ». Jésus se présente habituellement comme fils du père de tous les hommes (le mot hébreu Adam se traduit par homme ou être humain). En se présentant comme « Fils d’Adam » (fils de l’homme) dit que sa mission est universelle, car elle ne se limite pas à son peuple. Jésus marque sa différence avec les disciples dont Pierre est le porte-parole – en effet, en disant que Jésus est « fils de David », Pierre réduit sa mission à un projet national : la restauration de la royauté de David. Face au rétrécissement exprimé par Pierre, Jésus dit « Passe derrière-moi, Satan ». Il souligne « « tes pensées ne sont pas celles de Dieu ». Le mot « Satan » désigne le tentateur ; Pierre est un « tentateur ». Quelle tentation ? Pierre tient à un messianisme égoïstement réduit à un peuple – l’expérience montre que c’est là une source de malheur. Le projet de Jésus n’est pas celui-là –hélas, Pierre en est un porte-parole ! Entre Jésus et celui qu’il a choisi pour prendre la tête de la communauté, le malentendu est grave, comme l’atteste la force du reproche que Jésus adresse à Pierre.

L’actualité ne dément pas cette triste réalité. Aujourd’hui les conflits nous montrent comment les pires violences ont des motifs ou des justifications religieuses. C’est clair à Gaza, en Jordanie, au Liban… mais aussi en Ukraine où l’envahisseur est béni par le patriarche de Moscou. C’est vrai aux Indes dans la guerre entre musulmans et adeptes de la tradition religieuse plus ancienne… Dans ces guerres, on voit une perversion ; le nom de Satan le dit, lui l’ennemi de Dieu depuis les origines.

Les origines ? Oui ! nos origines. Pas seulement chez les autres, mais au-dedans de chacun de nous quand dans notre désir de vivre se tapit une bête de proie. C’est contre cette bête que Jésus engage le combat. Il en sait le prix et il annonce sans attendre qu’il vaincra le mal par la force de l’amour.