2ème Dimanche de l'Avent C
Fr Philippe Toxé op
Lc 3, 1-6
Mieux que les Ponts et chaussées ou les sociétés autoroutières, mieux que les ouvrages d’art les plus audacieux et les travaux les plus pharaoniques, les travaux qu’envisagent Baruch et Jean- Baptiste citant Isaïe, sont d’une ampleur inouïe : toutes les hautes montagnes et toutes les collines seront abaissées et nivelées, les vallées et ravins comblés, les passages tortueux redressés et les pistes défoncées aplanies !
Et pourquoi ces grands travaux ? Pour que l’Homme et Dieu puissent vraiment se rencontrer, pour que l’homme soit capable d’accueillir Dieu qui vient et puisse en même temps aller vers Lui, dans la Jérusalem restaurée, la Jérusalem céleste. Car ce n’est pas seulement la route qui est élargie et aplanie, mais la Cité sainte qui est restaurée dans la beauté resplendissante que Dieu veut pour elle.
Et qui fait ces grands travaux ? Si vous y prêtez attention, Baruch et Isaïe ne disent pas la même chose. Le premier nous dit que c’est Dieu lui-même qui prépare le chemin pour le retour des exilés dans une Jérusalem restaurée ; c’est Lui qui leur sert d’escorte pour qu’ils avancent en toute sûreté. Isaïe pour sa part, et Jean Baptiste dans sa prédication, invitent les hommes à aplanir la route pour la venue du Sauveur, la venue du Roi, comme cela se faisait à l’époque pour recevoir les visites des souverains, comme c’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui, quand la visite officielle d’un chef d’État est l’occasion de « remacadamer » les routes !
Cette diversité de maître d’œuvre n’est pas contradictoire, car le salut, le bonheur que Dieu veut pour l’homme, la participation à sa vie, c’est toujours l’initiative et l’œuvre de Dieu, mais il y veut toujours la collaboration de l’homme.
Pour accueillir le Seigneur, nous avons à abaisser nos montagnes d’orgueil, nos collines de suffisance d’où nous regardons les autres de haut, à combler ces ravins de désespérance où nous risquons de tomber, ces vallées de larmes où nous nous noyons, à redresser les routes tortueuses de nos existences, bref à enlever ce qui fait obstacle à la venue du Seigneur dans nos vies et dans nos communautés.
Mais finalement, ce n’est pas nous qui faisons le travail, c’est le Seigneur : c’est lui qui est au travail, comme nous l’a dit Saint Paul : « Dieu a si bien commencé chez vous son travail que je suis persuadé qu’il le continuera jusqu’à son achèvement au jour où il viendra le Christ Jésus » (Ph 1,5). C’est le Seigneur qui nous ouvre le chemin qui nous permet de revenir de notre exil, de restaurer cette humanité dans la splendeur que le Seigneur veut pour elle, quand il évoque la beauté de Jérusalem, enveloppée du manteau de la justice et couronnée du diadème de la gloire de Dieu.
Et pourquoi le Seigneur agit-il ainsi ? Parce qu’il se souvient, nous dit Baruch, non de notre péché dans lequel sa condamnation nous enfermerait, mais de son amour. « Loin des yeux, loin du cœur » dit le proverbe. Mais ce proverbe-là est trop humain ; il ne vaut pas pour Dieu, car la mémoire du cœur de Dieu est plus généreuse, plus miséricordieuse que tous nos éloignements.
Le Seigneur vient et nous fait revenir vers lui. Si la Jérusalem dont parle Baruch, est si belle, c’est parce que tous ceux qui en étaient loi, viennent y reprendre leur place. Et cela est possible parce que le Seigneur leur a ouvert le chemin. Mieux ! Il est lui-même le chemin, la vérité et la vie. Alors comme dit Saint Paul, « dans la droiture, nous marcherons sans trébucher vers la joie du Christ ».
En écoutant le livre de Baruch, je me suis dit que c’était à une restauration que le Seigneur nous appelait : il vient restaurer Jérusalem qui était abandonnée par ses habitants partis en exil. En parlant de restauration, je ne pense pas au régime politique qui succéda à la Révolution et à l’empire, mais plutôt à l’image de la restauration de Notre-Dame. Il vient restaurer notre humanité en lui donnant sa splendeur première par la force de son pardon. Et c’est à ce travail du Seigneur que nous devons nous prêter pendant ce temps de l’Avent et (j’anticipe un peu) pendant ce temps du Jubilé qui va commencer le 24 décembre. Quand on parle de la grâce de l’indulgence que l’on peut recevoir, on se demande parfois ce que cela veut dire et il me semble que la parole de Dieu nous aide à le comprendre : c’est une œuvre de restauration à laquelle nous participons. En effet, notre humanité personnelle ou communautaire ressemble à une cathédrale détruite par les flammes, à un chef d’œuvre abîmé par les malheurs ou les outrages des temps, nos négligences, nos erreurs, nos abandons, nos péchés. Nous pouvons le regretter et demander pardon, mais le mal dont nous avons été complices demeure. C’est comme un vieux tableau, un chef d’œuvre, qu’un gosse turbulent ou un militant d’une cause quelconque aurait badigeonné de peinture et que l’on met au grenier puisqu’il n’est plus présentable et il s’y abîme encore davantage. Et le Seigneur nous dit : « C’est pourtant un beau tableau ! » et les sales gosses que nous sommes peuvent même regretter ce qu’ils ont fait mais ne pas voir comment réparer ce mal. Et le Seigneur nous propose de restaurer ce tableau et de nous associer à sa restauration, en nous demandant de nous y mettre à plusieurs, pour que ce tableau reprenne toute sa place et retrouve sa splendeur première, et que sa beauté nous invite à la contemplation. La reconstruction de Notre-Dame de Paris nous en donne un autre exemple, qui fut une œuvre communautaire et de communion.
En Église, nous nous entraidons les uns les autres à laisser le Seigneur restaurer en nous son image que le péché avait abîmée. Alors comme Jérusalem, notre humanité pourra devenir le témoin de la gloire de Dieu, et cela n’est possible que parce que ses enfants y reviennent, et cela n’est réalisable que parce que le Seigneur les y aide en leur ouvrant la route et les escortant. Et c’est ce qu’il vient faire, en la personne de Jésus qui dans son humanité, est venu nous ouvrir la route vers le Père, en se faisant lui-même la route.
« Seigneur, reviens vers nous et nous reviendrons vers toi » dit l’Écriture. C’est ce que nous expérimentons en ce temps de l’Avent et ce temps du Jubilé. Nous pouvons alors le revivre en écoutant les consignes de l’apôtre que nous venons d’entendre et que nous pouvons faire nôtre : prier les uns pour les autres, s’attacher les uns aux autres dans la tendresse du Christ Jésus, laisser l’amour nous faire discerner ce qui est important ; etc.
Bonne marche : les chemins nous sont ouverts, voie large et toute parfumée qui nous conduit au Seigneur, pour que nous soyons dans la joie parfaite. Amen.