5ème Dimanche de Carême C
Fr Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond op
Jn 8.1-11
Il est penché et il écrit, il écrit quoi on ne sait pas … Peut-être est-ce pour nous inviter à regarder d’abord ses gestes, son attitude et ses manières. D’abord il est assis et il enseigne. Puis ce qui commençait par une leçon donnée par le rabbi de Nazareth tourne au procès. Alors Jésus se met debout, se fait l’avocat de la défense. Puis à la fin, quand tous sont partis et qu’il reste seul avec l’accusée, il se remet debout et cette fois-ci il juge – car il y a bien eu péché –, il se met debout, pour rendre sa sentence : « moi qui suis seul ici à être sans péché, le seul qui pourrait jeter la pierre, je ne te condamne pas ». Assis quand il enseigne, debout quand il défend et quand il juge avec clémence.
Revenons au début, imaginons la scène : les pharisiens et les scribes ont placé la femme en plein milieu d’un cercle. Les yeux sont tous rivés sur elle, regards sans doute chargés de curiosité, ou de dégoût, regards d’accusation ou bien de commisération. Elle est au milieu du cercle des regards qui la jugent et l’humilient. Avant le sang qui coulerait si on la lapidait, il y a le rouge de la honte sur ses joues et sur son front. Pendant ce temps, Jésus se penche pour tracer des signes sur la terre. C’est peut-être une manière d’écouter mieux, manière de se concentrer sur ce qu’on dit – comme quand on dessine sur un papier pendant qu’on est au téléphone. Mais, surtout, en se penchant sur la terre, Jésus ne la regarde pas. Dans cette foule qui l’encercle, il y a ce trou, une échappée : là où se trouve Jésus, pas de regard accusateur. Notre péché, Jésus le sait mieux que quiconque, mais il ne fait pas chorus avec tout ce qui autour de nous ou bien en nous porte l’accusation. En s’abaissant, il montre qu’il est plus grand que ceux qui nous condamnent en chœur, plus grand aussi que notre cœur si celui-ci vient à nous condamner.
Il nous apprend ainsi qu’elle devrait être notre attitude devant la honte de notre sœur, devant le péché de notre frère. Il ne s’agit pas de fermer les yeux pour ne pas voir, pas de fermer la bouche quand il est nécessaire de dénoncer le mal. Mais sa pudeur, mais cette discrétion, c’est, peut-être, pour permettre que cette femme ne soit pas à tout jamais humiliée de sa faute, ne soit pas partout prisonnière de sa honte. Il s’agit, peut-être, de montrer qu’un jour, il lui sera possible d’obéir à l’invitation de la 1ère lecture : oublier le passé qui nous encombre, ne plus songer aux souvenirs qui nous lapident.
Et puis : Jésus est dans le Temple, à écrire on ne sait quoi et à l’écrire avec le doigt pendant qu’on lui parle de Moïse et de sa Loi. La seule autre fois dans la Bible où l’on nous dit que quelque chose est écrit avec le doigt, c’est dans le livre de l’Exode, la loi donnée par Moïse est écrite du doigt de Dieu. Les tables de l’alliance longtemps seront conservées et honorées au Temple. Dans le Temple, nous y sommes. Jésus, quand il était assis et enseignait lui interprétait sans doute Loi, comme un nouveau Moïse. Lorsqu’il se tait et qu’il trace du doigt des signes sur le sol, il va plus loin que ne l’a fait Moïse : il est lui-même le doigt de Dieu qui inscrit et accomplit sur terre la loi parfaite, et c’est la loi d’aimer.
Et puis encore : Jésus qui agite ses doigts dans de la terre, cela peut rappeler un autre geste divin. Au livre de la Genèse, avant qu’il y ait péché, Dieu, comme un potier, avec un peu de terre, a formé l’homme à son image et ressemblance. La suite de l’histoire, nous la savons : le péché de l’homme qui se découvre alors nu et tout honteux. Ce que Jésus écrit dans la poussière, on ne sait pas, on peut donc imaginer. Je reprends ici l’idée d’un frère qui signalait que, en grec, le même verbe peut se traduire par écrire ou dessiner. Imaginons que le Seigneur dessine du doigt sur le sol. Imaginons qu’il dessine dans la poussière le vrai visage de cette femme, qu’il trace dans la terre les traits de sa beauté, celle que Dieu a donnée à tous les hommes. Il nous inviterait ainsi à espérer que, malgré nos hontes, de faute en relèvement, peu à peu nous devenons ce que nous sommes : la belle image de sa gloire, sa pure ressemblance.
Nous l’avons entendu, cette scène a lieu après la nuit passée au mont des Oliviers. Il y a là comme une prophétie de ce qui bientôt va arriver : une autre nuit au mont des Oliviers, suivie d’un autre procès. Il y aura condamnation, et Jésus levé en Croix va se pencher au plus profond de notre terre. Ce faisant, le Christ prend sur lui nos faiblesses, assume la honte d’être nu, livré aux hommes et à leurs cœurs de pierre. Il y a là une espérance, pour toutes les trahisons à qui pardon est proposé. Il y a aussi une patience pour tout ce qui pharisaïse : la conversion reste possible. Car, dans l’adultère comme dans les pharisiens, dans tous les traîtres de l’amour, le Seigneur ne cesse de vouloir inscrire sa ressemblance dans leur si peu de terre, ne cesse de vouloir s’imaginer dans la poussière de l’homme.