Solennité de l’Épiphanie A

P Michel Mounier

Matt 2. 1-12

Avec l’Évangile, nous voici en voyage de pauvreté en pauvreté. Nous avons fêté Noël devant un enfant dans la crèche. Cette pauvreté annonce l’indépassable pauvreté de la Croix. C’est entre les deux que se manifestera la puissance. Non, une puissance politique, militaire, économique, ni même spirituelle. Une puissance qui ne s’exerce qu’en faveur des hommes et dans leur liberté. Puissance de la pauvreté et de la faiblesse de Dieu. Le prophète Isaïe l’avait annoncé, les nations païennes, avec leur sagesse et leur richesse viennent se prosterner devant un enfant. Nous n’annonçons pas un prophète victorieux par les armes, ni même par la puissance de sa sagesse. Nous n’avons à proposer qu’un enfant, et un messie crucifié. Un messie sans défense, du premier au dernier jour. Et nous en sommes heureux car que serions-nous, où serait notre dignité s’il venait s’imposer à nous par la force, l’évidence ou la sagesse. C’est la grandeur de Paul d’avoir compris et annoncé que la sagesse de Dieu est la folie de la Croix. Elle commence à Bethléem.
Et de par le monde, ce n’est pas à la mode d’entendre ce que nous dit cet évangile : à Moscou, à Kaboul, à Jérusalem, à Téhéran, mais aussi au Texas, en Floride et dans certains secteurs de l’opinion européenne, la foi, ou plutôt la religion est présentée comme une identité, totalisante et excluante. Or que nous dit cet évangile ?
Il nous dit que la manifestation, l’épiphanie est double. Il y a d’abord la manifestation du Christ d’Israël, ce peuple insignifiant, aux païens. Et aussi la manifestation à Israël, certain d’être l’élu, que les païens eux aussi sont appelés au partage de la même promesse. Les mages, des païens, viennent au Christ par leur religion, leur sagesse. C’est donc que Dieu n’est pas absent de leur démarche, de leur foi. Bien longtemps après, le Concile Vatican II redira cette conviction dans des mots admirables : « Cela (la vie dans le Christ) ne vaut pas seulement pour tous ceux qui croient au Christ mais bien pour tous les hommes de bonne volonté dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. » Quelle audace !
Paul écrira que le mystère caché depuis le commencement n’est autre que la réconciliation des frères ennemis, Israël et les nations, dont le conflit sous-tend tout le récit biblique.
Que dire du rassemblement final de tous les hommes dans le Christ ? D’abord peut-être que dans le Christ, Dieu vient épouser notre propre faiblesse pour la faire sienne, l’assumer et nous en libérer. Et puis ce Dieu qui se présente comme le pauvre et le serviteur loin de peser sur notre liberté, nous invite à nous affranchir de notre illusoire puissance. Dieu ne « pousse » pas, il appelle. Il appelle tous et chacun. Sa faiblesse même est un appel à naître, à nous rendre au lieu même de notre création. Création de tous les instants dès que nous acceptons d’accueillir l’autre, différent, étrange, étranger comme les mages venus à la rencontre d’un roi accueillent Jésus, comme Jésus accueille les mages. C’est un païen comme eux, centurion romain qui le premier dira « Vraiment, celui-ci était le Fils de Dieu. »