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Solennité de la Nativité B

Messe de la nuit : Fr Charles Ruetsch op

« Voici que je vous annonce une grande joie : aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur ! »

Jésus, le Verbe de Dieu est né au milieu de nous. Il est devenu l’un d’entre nous. Et cela ce n’est pas un conte de Noël.

Il est vrai que nous aimons bien les histoires de Noël, mais l’évangile que nous venons d’entendre n’a rien d’un conte de fées. Dès les premières lignes de l’évangile, nous voilà confrontés à la brutalité de l’histoire des hommes.

César Auguste vient d’ordonner le recensement de toute la terre : tout l’empire romain est en effervescence, le recensement fait transhumer toute la population de Judée. L’empereur l’a décidé : toute la terre doit être recensée…

Toutes les diversités religieuses, culturelles, nationales de l’Empire sont comptées pour rien, nivelées, anéanties. Plus d’individus, simplement des chiffres : on pourrait dire que la globalisation ne date pas d’hier… Alors comme toujours, les petits et les humbles s’inclinent devant la volonté des puissants…

C’est bien dans ce monde douloureux que Jésus naît : si Noël est la fête de la paix et de la joie, n’oublions jamais que c’est sur fond d’inquiétudes, d’ambitions humaines, d’égoïsmes et de souffrances qu’elle s’inscrit…

En attendant, le recensement s’impose aussi à Joseph et à Marie : alors il faut partir, il faut marcher, il faut s’inscrire… On imagine que le long voyage est éprouvant pour la jeune femme enceinte…

Un jour, l’enfant qui doit naître sera grand, et il apprendra à ses disciples à rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu…

Déjà Marie et Joseph rendent à César ce qui lui appartient en venant se faire recenser, et ils rendent à Dieu ce qui Lui revient en acceptant de devenir – mystérieusement – les artisans de son dessein.

Car le décompte d’Auguste est en fait un mécompte : cet ordre venu d’un homme qui se prend pour un dieu réalise à son corps défendant le projet de l’unique vrai Dieu, le seul Maître des temps et de l’histoire. Voilà qu’arrivent les jours où Marie doit enfanter et grâce au recensement d’Auguste, Jésus va naître à Bethléem, cette ville désignée par la Bible comme le lieu de la naissance du Messie…

Pourtant c’est encore à l’écart que la merveille va s’accomplir, car il n’y a pas de place pour le jeune couple dans la salle commune. Alors c’est dans une humble grotte, que le Sauveur va venir au monde…

La petite ville de Bethléem bruisse de l’agitation du recensement, mais c’est à côté de cette agitation que Dieu prend place dans le monde. Dieu vient habiter notre monde, mais en marge de nos agitations, de nos distractions, de toutes les inquiétudes dont nous remplissons nos vies…

Un jour cet enfant sera grand, et sa mort et sa résurrection passeront également inaperçues du plus grand nombre dans la ville de Jérusalem toute occupée aux préparatifs et à la célébration de la Pâque…

Dieu agit, mais c’est en secret, et seuls les cœurs qui demeurent dans l’attente de Dieu peuvent le discerner…

Et en effet, parmi les personnages de ce récit de la Nativité, il y a des veilleurs justement : les bergers des alentours de Bethléem. Face aux puissants de la terre – à côté des Auguste et des Quirinius – ils représentent les humbles et les petits, les méprisés et les déclassés de toute sorte. Mais plus profondément encore, les bergers appartiennent à la longue lignée de ceux qui veillent dans la nuit… Ceux qui veillent parce que la nuit est trop froide, trop rude, trop dangereuse… Ceux qui veillent dans l’attente d’une improbable aurore qui apportera enfin la paix et la joie…

Ils sont à l’image du peuple de la Bible. Ils sont les héritiers d’Abraham, de Moïse et de David… de tous ces personnages de la Bible qui étaient bergers comme eux, et qui avaient reçu la mission de prendre soin du peuple de Dieu en son nom…

Les bergers de Bethléem sont les premiers convoqués auprès de la crèche, car en eux Dieu se reconnaît…

Et un jour, l’enfant qui vient de naître sera grand, et il comblera leur attente en devenant le vrai, le bon, l’unique Pasteur, celui qui connait ses brebis et que ses brebis reconnaissent…

En attendant, c’est donc aux bergers qu’est adressée cette bonne nouvelle : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ».

« Un Sauveur nous est né ! » se disent-ils l’un à l’autre, « à la bonne heure ! ». « Cela fait tant d’années, tant de siècles que nous l’attendions, que nous guettions son avènement et que nous espérions sa victoire. Par contre – se disent encore les bergers – nous avons sans doute mal compris lorsque l’ange nous parlait d’un enfant dans une mangeoire, car celui que nous attendons c’est un prince qui brisera les tyrans et qui détruira nos oppresseurs, un prince à l’image des puissants de ce monde… »

Alors pour accueillir ce Sauveur si particulier, les bergers vont encore devoir se déplacer : marcher physiquement vers la crèche bien sûr, mais plus essentiellement encore vivre un déplacement intérieur…

Et cela vaut pour nous aujourd’hui encore : pour trouver Jésus, il faut s’aventurer à nouveau dans la nuit sombre, quitter la quiétude rassurante des pâturages comme les certitudes de toute sorte, et se mettre en route avec un cœur ouvert à l’imprévu et à l’imprévisible…

Et l’annonce de l’ange se vérifie : l’Enfant est là, couché dans la mangeoire…

Mais pour l’instant, le Sauveur ne parle pas, comme pour nous apprendre qu’il n’y a pas de réponse toute faite aux souffrances qui accablent le monde. Pour révéler qu’il n’est pas un Sauveur selon nos conceptions ordinaires, comme nous pouvions encore trop l’imaginer à la lecture de la prophétie d’Isaïe…

La réponse qu’apporte ce Sauveur si particulier à toutes nos questions, elle réside dans les bras ouverts de cet enfant qui se tendent vers Marie et Joseph, vers les bergers… et vers nous aussi ce soir…

Un jour, cet enfant sera grand, et il annoncera à tous : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et je vous procurerai le repos » …

Frères et sœurs, fêter Noël ce n’est pas faire semblant, faire comme si tout allait bien le temps d’une nuit.

Fêter Noël, c’est reconnaître que le mystère de l’incarnation vient jeter une lumière du ciel sur toutes nos questions de la terre.

Car l’enfant de la crèche est déjà devenu grand et il nous l’a promis : « Dans le monde, vous aurez à souffrir, mais gardez courage, j’ai vaincu le monde » …

Pour obéir aux désirs d’un souverain mégalomane, le nom de Jésus a été inscrit un jour sur les registres de Bethléem mais les parchemins de l’Empire sont depuis longtemps tombés en poussière.

Le nom de Jésus est en revanche désormais gravé en nos cœurs, et c’est en son nom que devenons à notre tour les ouvriers de son dessein pour que la paix et la joie véritables triomphent chaque jour un peu plus en ce monde…

Alors ne laissons pas mourir cette flamme de l’Evangile.

Noël n’a pas eu lieu il y a 2.000 ans ; Noël a simplement commencé il y a 2.000 ans…

Bon et saint Noël à toutes et à tous !

Amen

Messe du jour : Fr Charles Ruetsch op

En ce matin de Noël, il flotte dans l’atmosphère comme un air de Genèse…

Souvenez-nous du refrain qui scandait le récit de la Création : « Il y eut un soir, il y eut un matin »…

Il y eut un soir… et au cœur de la nuit, nous avons suivi Marie et Joseph à la recherche d’une place où l’Enfant puisse venir au monde. Au cœur de la nuit, l’Enfant est né et il a été déposé dans une mangeoire…

« Il y eut un soir, il y eut un matin, et Dieu vit que cela était bon »…

Et ce matin, nous nous retrouvons pour célébrer cette bonne nouvelle : « Un Sauveur vous est né, qui est le Christ, le Seigneur ».

Au pied de la crèche, nous contemplons le nouveau-né qui dort paisiblement dans les bras de sa mère. Les bergers se sont retirés, les anges sont retournés vers le ciel, il n’y a plus que Jésus – seul – entouré de ses parents…

La scène est charmante, elle ne peut pourtant arrêter notre regard. C’est pourquoi le prologue de l’évangile de Jean nous propulse au-delà même de la contemplation de cet Enfant pour approcher ce qu’il nous révèle.

« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu »…

Et c’est encore le livre de la Genèse qui nous revient en écho par-delà les siècles…

« Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » : le mystère de l’Incarnation rejoint le mystère de la Création… Ou plus exactement, nous découvrons que le mystère de la Création lui-même s’éclaire pleinement à la lumière du mystère de l’Incarnation.

Car ici, il faut bien le comprendre : lorsque l’évangéliste Jean en appelle à l’origine, il ne fait pas référence à je-ne-sais-quel commencement mythologique du monde…

Le commencement dont nous parle saint Jean, c’est l’aujourd’hui de Dieu, ce projet de bonheur et de paix que Dieu désire pour chaque homme et chaque femme venant en ce monde…

L’évangile de Jean n’évoque pas la scène charmante de l’évangile de Luc que nous avons entendu cette nuit, mais si nous tendons un peu l’oreille nous l’entendrons pourtant bien parler de naissance…

Il nous parle même plus précisément encore de trois naissances, trois naissances du Christ…

La première, c’est l’engendrement éternel du Verbe dans le sein du Père…

C’est le mystère de la naissance éternelle : Dieu le Père engendre le Fils. Et le Fils est si absolument tourné vers le Père qu’il en est au sens propre le « porte-parole » : il est le « Verbe de Dieu »…

Comme le Fils, nous trouvons nous aussi notre origine dans ce débordement totalement gratuit de l’amour de Dieu, et désormais nous n’avons plus d’autre vocation que celle-là : devenir fils et filles du Père…

Telle est notre vocation depuis le commencement : invitation à partager la vie même de Dieu, à nous laisser chaque jour enfanter par le Père…

Mais il est encore une deuxième naissance, elle concerne la venue du Christ dans la chair…

Au commencement, l’homme a été fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. Mais l’homme a refusé la ressemblance, il a refusé à Dieu ce qu’il désirait de tout son cœur : être pour lui le Dieu vivant qui donne la vie…

L’humanité a prétendu vivre sans Dieu, dans une autonomie orgueilleuse, et elle n’a récolté que l’amertume et l’inquiétude…

Loin de se résoudre aux multiples trahisons de l’Alliance, Dieu est sans cesse revenu à la charge, sans se lasser… Et « lorsque les temps furent accomplis, Il a envoyé son Fils, né d’une femme… » comme le dit saint Paul dans la lettre aux Galates.

« Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire »…

Au commencement, l’homme avait été créé à l’image de Dieu. Avec la naissance de Jésus, c’est le Fils de Dieu qui se fait en tout semblable aux hommes, à l’exception du péché…

La merveille de la nativité, ce n’est pas que Dieu soit entré dans le monde qu’il avait créé, car il n’y a aucun recoin de l’univers où Dieu ne se soit pas toujours senti chez lui…

La merveille de Noël, c’est que Celui qui est inconnaissable, inaccessible, intemporel prenne un nom et reçoive un visage, et que ce soit pour nous qu’il le fasse…

En venant dans le monde, Jésus le Verbe manifeste la proximité de Dieu avec les hommes, mais cela ne se fera pas sans résistance…

« Il est venu chez les siens, dit saint Jean, et les siens ne l’ont pas accueilli ».

Mais qu’à cela ne tienne ? Depuis le moment de sa naissance, et tout au long de son existence, Jésus n’aura de cesse de s’aventurer toujours plus loin. Dans son ministère public, il s’enfoncera en territoire païen, bien au-delà des limites du pays des juifs. Il s’enfoncera toujours plus profondément à la recherche de cette humanité qu’il ne cesse de vouloir rejoindre et relever…

Depuis Noël, Dieu est parti à la recherche de l’homme… En perpétuel exode lui-même, le Verbe fait chair ne craindra pas de franchir les frontières, jusqu’à mourir en dehors des murailles de la ville de Jérusalem, pour renouveler l’homme et lui rendre sa dignité originelle.

Car le mystère de Noël célèbre enfin une troisième naissance du Christ : le Verbe est en train de naître tous les jours et jusqu’à la fin des temps en chacun de nous…

Le cœur du mystère de Noël, nous dit saint Jean, c’est que « le Fils nous a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu »… comme Lui, par Lui, avec Lui et en Lui…

Oui, frères et sœurs, l’évangile nous l’annonce : nous avons le pouvoir extraordinaire de laisser naître et grandir en nous le Christ : telle est l’incroyable bonne nouvelle de Noël…

Mais il nous faut l’accueillir à l’image de ce que la crèche nous donne à voir, car il vient en nous comme un nourrisson : nu et sans défense… Il habite notre monde comme la flamme fragile qui brille et qui éclaire dans l’obscurité…

Et je voudrais citer ici pour finir une figure de la spiritualité contemporaine, Etty Hillesum, juive allemande, morte à Auschwitz en 1942, qui a laissé un journal qui témoigne de manière bouleversante de son expérience spirituelle.

Voici ce qu’elle écrivait quelques mois avant son arrestation et sa mort :

« Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose m’apparaît cependant de plus en plus claire, ce n’est pas toi qui peut nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il est possible de sauver en cette époque et c’est la seule chose qui compte, un peu de toi en nous, mon Dieu… Il m’apparaît de plus en plus clairement, que c’est à nous de t’aider et de défendre, jusqu’au bout, la demeure qui t’abrite en nous ».

« Je vais t’aider mon Dieu à ne pas t’éteindre en moi » : en ces temps de crises, n’y aurait-il pas là une magnifique définition de l’espérance à laquelle le Christ nous invite en ce temps de Noël…

Etty Hillesum ignorait une seule chose. C’est que lorsque nous aidons Dieu pour qu’il ne s’éteigne pas dans notre monde, en réalité c’est Lui-même qui vient au secours de notre faiblesse pour nous donner sa force et sa grâce…

« Le Verbe s’est fait chair et nous avons vu sa gloire »…

Dieu s’approche de l’homme pour nous faire participer de sa vie divine.

Bon et saint Noël à toutes et à tous !