1er Dimanche de Carême B
Mc 1. 12-15
Le combat de la foi
Évangile selon saint Marc, chapitre 1 : « En ces jours-là Jésus, baptisé dans le Jourdain par Jean, vit les cieux se déchirer et l’Esprit comme une colombe descendre vers lui, et une voix vint des cieux : ” Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur.” Et aussitôt, l’Esprit le pousse au désert. Et il était dans le désert durant quarante jours, tenté par Satan. Et il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient. Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée, proclamant l’Évangile de Dieu et disant : “Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l’Évangile”. »
Jésus est dans le désert ! Ce n’est pas là une notification insignifiante, tant elle est riche de mémoire et de projet. De mémoire d’abord. En effet, le mot désert évoque le séjour du peuple élu après sa sortie d’Égypte pour fuir la servitude et aller au pays jadis parcouru par Abraham. Sous la direction de Moïse, le peuple a vécu au désert un temps de combat contre les éléments hostiles (le désert aride, infertile et peuplé d’animaux dangereux comme les serpents). Il y eut un combat plus radical : celui de la tentation, car le pire ennemi est dans son propre cœur. Ainsi lorsque le peuple a reçu la Loi de Moïse, au lieu de se réjouir il se révolta. Moïse lui-même a dû surmonter les doutes et les confusions. Rien ne fut simple. Aussi le mot « désert » est-il attaché à la notion de combat contre les forces qui séparent de Dieu. C’est le premier sens, Jésus qui est le nouveau Moïse commence sa vie en franchissant un seuil qui est analogue à ce qu’a vécu Moïse et surmontant l’obstacle, il prouve qu’il est celui qui doit venir, celui qui est attendu comme le fondateur d’un peuple nouveau, le peuple de Dieu. C’est en communion avec Jésus que nous vivons le combat de la foi dans notre monde où Dieu est si tristement absent et souvent défiguré.
Le mot désert évoque une autre réalité. Elle est moins connue que ce que je viens de rappeler. Il ne s’agit plus du temps de Moïse mais de la royauté en Israël, avec David, Salomon, et les autres, jusqu’à l’Exil. Face aux facilités de la vie des dignitaires et du clergé à la cour, le désert a été un lieu de refuge pour ceux qui se dressaient contre les abus du pouvoir, la corruption des mœurs, la confusion qui dénaturait l’alliance conclue entre Dieu et son peuple. Le désert était le lieu de la résistance contre la corruption de la foi et des mœurs. Les prophètes ont fait du désert la figure de la résistance à la corruption. Le mot désert désigne alors la radicalité de la foi contre la perversion des institutions les plus nobles. Cette tradition culmine en Jean le Baptiste, fils d’une grande famille sacerdotale, il est parti au désert et revenu pour redire la foi en Dieu et lutter contre la corruption. Jésus prend sa suite et ce n’est une surprise pour personne de voir qu’il commence son ministère là où jusqu’à Jean Baptiste les prophètes ont annoncé le Dieu trois fois saint.
Si Jésus commence son activité en allant au désert, c’est pour prendre la suite de Moïse – ce point est souvent développé. J’insiste sur le deuxième point : parler de désert, c’est dire le refus d’être complice des pouvoirs en place, c’est un esprit de résistance, un esprit qui s’oppose à la corruption, au mensonge et à la vanité des puissants. Le désert est lié à l’Esprit Saint, la sainteté d’un Dieu d’amour, de justice et de paix.
En ce début de Carême, nous sommes invités à la suite de Jésus à entrer dans le combat pour la justice et la paix pour qu’advienne le Règne de Dieu. C’est notre combat. C’est la raison d’être de ce lieu accroché à la falaise. C’est là que nous venons pour lutter contre les forces du mal qui dominent notre temps. Les forces du mal sont multiples. J’en relève une particulièrement pernicieuse, qui semble méconnue. Elle caractérise notre culture : l’usage de la drogue. On parle très souvent dans les médias des règlements de compte des bandes de trafiquants, et on oublie de relever ce qui concerne les clients de ces réseaux. Notre monde est gangréné par un marché révélateur de notre mal profond : la consommation de la drogue. Qu’est-ce que la drogue sinon l’illusion du bonheur par le chemin du rêve, de l’évasion dans l’imaginaire dans une jouissance qui n’est qu’un enfermement dans le seul souci de soi, la répétition indéfinie de ce qui ne répond en rien au profond désir de l’être. Comme Icare voulant voler jusqu’au Soleil et retombant dans les eaux de la mer, dans les tristes eaux de la mort, il advient toujours que passés les premiers plaisirs, viennent l’illusion, la déchéance et la chute dans le désespoir jusqu’au suicide. Telle est la noire figure de notre monde !
Le séjour au désert dont parle l’Évangile, celui de Jésus, est un combat contre les forces de corruption, d’illusion et d’aliénation (mentale et idéologique). Ce combat est difficile. Seuls, nous n’avons pas la force. Aussi nous le vivons avec Jésus. C’est de lui qui se donne dans les sacrements que nous recevons la force et dans son Esprit nous greffons notre désir de vivre, de grandir, de devenir ce que dieu nous appelle à être : ses enfants. Nous menons ce combat pour nous, pour nos proches, pour notre famille. Ainsi nous serons les témoins d’un Dieu qui nous appelle à vivre pleinement notre vocation d’enfant de Dieu.