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28ème Dimanche du To B

P Jean-François Chiron

Mc 10, 17-27

La Parole de Dieu de ce dimanche ne peut nous laisser indifférents – mais la 2e lecture nous a prévenus : … Quel est donc le message qui nous est destiné, à nous tous en tant que membres d’une Église, et à chacun de nous ?

Il y a dans cet épisode le destin d’un homme, un destin particulier, celui d’une vocation manquée ; et il y a une généralisation, de la part de Jésus, sur les richesses et sur le salut – les deux, et peut-être surtout sur le salut.

J’en viens directement à la généralisation. Cette impossibilité, soyons francs, pour des riches d’entrer dans le Royaume de Dieu, c’est-à-dire de répondre à l’appel de Dieu : une impossibilité comme naturelle. C’est la fameuse image du chameau et du trou de l’aiguille. Le chameau n’est pas choisi par Jésus au hasard : qui dit chameau dit lourde charge : comment un chameau, avec toute sa charge, pourrait-il passer par le trou d’une aiguille ? Mais nous savons bien que, même débarrassé de sa charge, le chameau sera tout aussi incapable de passer par ce trou.

Parlons d’abord de la charge, puis du chameau.

La charge : oui, nous avons affaire à une sérieuse mise en garde de la part de Jésus. Sur la charge que représentent les richesses, en quoi elles sont contraires à la réalisation par chacun du projet de Dieu sur chacun. Notons bien le contexte dans lequel s’exprime Jésus : d’abord, un contexte où l’écart entre riches et pauvres est considérable : la pauvreté, comprenons la misère, est l’état naturel de la plus grande partie de la population, et cela ne choque pas. On n’a pas encore inventé les impôts progressifs sur le revenu ou le capital, ou la Sécurité sociale. Rien qui ressemble à une obligation sociale pour les plus riches de participer à un effort de solidarité nationale. Et, deuxième élément du contexte : un monde où la richesse est considérée comme une bénédiction de Dieu, la récompense d’une vie juste, religieuse – c’est le message de tout l’Ancien Testament, voyez le livre de Job. Un message, disons-le en passant, que nombre de courants protestants évangéliques ont repris à leur compte (« l’Évangile de la prospérité »…) ; on se demande ce qu’ils font du message de l’évangile d’aujourd’hui, eux qui pourtant prônent une lecture littérale de l’Écriture. Du côté catholique, l’argent, les richesses ont plutôt mauvaise presse.

Une charge qui pèse sur les riches comme sur les chameaux, et qui invite chacun à s’interroger sur ce qui peut l’encombrer, le distraire de l’essentiel, qui est la réponse au Christ. Cela vaut pour tous : on sait bien que plus un pays est riche, plus ses habitants le sont, moins ils sont religieux. Il y a comme un horizontal qui empêche le vertical, la relation à Dieu. Chacun peut se demander où il en est.

Ceci pour la charge ; deux mots sur le chameau. Un chameau, même déchargé, ne peut passer par le trou d’une aiguille. Mais, dit Jésus, ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Même de sauver un riche. Même de faire passer un chameau par le trou d’une aiguille, avec ou sans charge. Car c’est bien le cœur du message de Jésus, un cœur, pardonnez le mot, de nature théologique : nul, quelle que soit sa richesse, ne peut se sauver lui-même, même en faisant tous les efforts possibles ; Dieu seul peut sauver. Personne ne peut, avec ses propres forces, se mettre dans une relation juste à Dieu, une relation ajustée, qui donne la vie. On ne peut se sauver, on ne peut qu’être sauvé. Un chameau ne peut passer par le trou d’une aiguille, un moineau pas davantage.

Notons à quel point ce message ne va pas de soi dans notre contexte : depuis plus de 200 ans, les penseurs, les philosophes nous enseignent le contraire : vouloir être sauvé, croire que son salut, disons son bonheur, son humanité vraie, dépend d’un autre, d’un Dieu : mais c’est de l’aliénation, c’est une oppression intellectuelle dont il faut se libérer. L’être humain doit se sauver par lui-même, il est maître de son destin. Je n’insiste pas pour dire que la mise en œuvre de ce programme n’a pas tjrs donné de bons résultats, au XXe siècle.

La perspective est donc double. Il y a ce qui dépend de nous : c’est le message de la 1ère lecture, qui nous invite à la réflexion, au discernement. Qu’est-ce qui m’encombre, qui m’empêche de répondre vraiment à l’appel de celui qui a posé sur moi son regard et qui m’aime d’un amour unique ? Ce peut être un bien, mais aussi une relation, sinon une personne, une addiction, que sais-je. De quoi ai-je besoin de me libérer – ou, plutôt, d’être libéré ? En se souvenant de la formule d’un vieil auteur : « On dit : Mon Dieu, je vous donne tout ; et on reprend en détail ce qu’on a donné en gros. » Il y a bien des compensations possibles ; on ne donne jamais tout, et c’est sans doute mieux ainsi.

Et il y a ce qui dépend de Dieu : Dieu seul sauve, Dieu seul peut donner le vrai bonheur. Cela doit être au cœur de notre foi. Ce qui implique une disponibilité : être sauvé n’est pas quelque chose de passif, Dieu compte sur nous pour nous rendre disponible, c’est ce que je viens d’évoquer en mentionnant ce que Dieu attend de nous. Mais notre action ne sera jamais que la réponse à l’action d’un Autre, de Celui qui, en Jésus-Christ, nous a aimés le premier.