2ème Dimanche du To C
P Julien Dupont
Jn 2. 1-11
Malheureusement, notre monde n’est pas à la fête : le cessez-le-feu à Gaza n’est pas encore acquis et la paix est précaire dans de nombreux pays, la santé mentale des Français est de plus en plus préoccupante – 1 lycéen sur 4 a eu l’idée de se suicider l’an dernier –, la pauvreté s’installe toujours plus et, au temps de l’IA, l’ère de la performance et de la toute-puissance nous semble promise… Même si notre temps ne semble pas être en fête, l’Évangile de ce jour nous y convie ! Pourquoi ? Parce qu’il inaugure des temps nouveaux !
À compter de cette nouvelle épiphanie où l’eau est changée en vin (Jn 2, 1-10) et jusqu’au second signe de Cana (Jn 4, 43-54), la nouveauté induite par l’Évangile est réelle : il y a l’ancien temple et le nouveau temple (Jn 2, 14-19), la nouvelle naissance de Nicodème (Jn 3, 1-21), une opposition entre puits de Jacob (ancien) et eaux vives, cultes anciens et culte nouveau en esprit et en vérité (Jn 4, 24s). C’est donc une ère de changement qui est annoncée ici. Et, pour reprendre la formulation prophétique du pape François fin 2019 : « Ce temps que nous vivons n’est pas seulement une époque de changements, mais un véritable changement d’époque ».
Aujourd’hui encore, nous vivons un changement d’époque car le Christ nous prépare encore et toujours à la radicale nouveauté de l’Évangile : c’est d’abord à Dieu d’agir ! À lui et à lui seul d’opérer… Et à nous de n’avoir comme seule ambition que celle d’agir conformément à la volonté du maître : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». Cette phrase de la mère de Dieu nous renvoie à une réalité : Dieu parle, pour nous, et il nous suffit de laisser résonner sa Parole au-dedans de nous, en nos cœurs, pour le laisser agir ici et maintenant.
Remarquez que nous sommes cependant dans un entre-deux : déjà, Jésus inaugure des temps nouveaux où nous n’aurons à « prendre » que le vin, signe de l’Alliance nouvelle. Mais ceci n’est pas encore définitif : son « heure » n’est pas venue. La manifestation de sa « gloire » ne fut visible qu’à la Croix, là où le sang a coulé (Jn 19, 34). Bien que ce signe soit le « commencement » d’un temps nouveau, notons que le meilleur est pour la fin ! En cette année jubilaire, ce récit nous ouvre justement à l’espérance d’un monde meilleur, plus juste, où le fruit de la terre et du travail des hommes nous permettra de reconnaître que nous sommes en fête. Dieu nous donne toujours ce qu’il nous faut et nous « préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples » (Is 25, 6-7).
Cette perspective annoncée des noces éternelles ne nous permet pas, rien qu’aujourd’hui, de rester les bras croisés en attendant tout de Dieu, et à la fin des temps. L’Évangile nous presse aussi d’agir ici et maintenant. Comme au temps de Cana, nous pouvons : intercéder, comme la mère de Dieu auprès de son Fils ; servir le Fils de Dieu, en lui apportant les jarres de pierre remplies de nos vies ; rendre grâce pour la foi qui anime la vie des disciples… Mais nous pouvons aussi nous engager pour faire advenir ce nouveau monde inauguré par Dieu. Je suis frappé de constater, en cette année jubilaire, que la dimension sociale d’une année sainte est moins honorée. Libérer les esclaves, éradiquer la faim dans le monde, remettre les dettes des personnes et des nations écrasées par le poids de celles-ci… Voilà un appel pour que le vin nouveau coule dès maintenant. À Cana, c’est la nouveauté, l’abondance et l’excellence… et le tout offert gracieusement ! Il nous faut voir comment ce monde meilleur qui est scellé avec Dieu soit aussi le nôtre, de manière que nous soyons en fête ici et maintenant. Ainsi, « les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau (…) tu seras la joie de ton Dieu » (Is 62, 1-5). Amen.