
6ème Dimanche du To C
Fr Marie-Philippe Roussel op
Lc 6, 17.20-26
Christ est ressuscité ! Christ est vraiment ressuscité !
Cette proclamation, nous l’annonçons en chaque matin dominical comme s’il était le matin même de la Pâque du Seigneur. Nous commençons chaque dialogue avec Lui par cet acte de foi. Nous tentons de rappeler sans cesse cette vérité éternelle à notre âme, prise dans les tourbillons de nos temps trop humains. Nous devrions la dire comme un préambule de chaque enseignement, de chaque homélie,
de chaque acte de transmission de notre foi.
Oui, notre âme a besoin de son dimanche et notre dimanche a besoin de son âme. Et ce repos et cet esprit, c’est celui qui se trouve seulement dans le Ressuscité. Mais voilà que Paul s’insurge contre les Corinthiens : les apôtres vous ont prêché la Résurrection du Christ et vous ne croyez pas à la vôtre.
Voici la contradiction qui guette éternellement les croyants. Nous pouvons dire « je crois » mais, parfois, ni nos vies et ni nos mots ne proclament cette foi. Comme si le Christ n’avait pas vaincu la mort et
le péché, comme s’il ne pouvait poursuivre sa victoire en l’homme, comme s’il ne pouvait la poursuivre en chacun de nous.
Ce qui est dans notre tête prend du temps pour descendre dans notre cœur, dans l’épaisseur de nos vies. Tel un cours d’eau dévalant la montagne pour rejoindre la vallée, notre vie est appelée à descendre de son piédestal factice, trop humain, pour rejoindre la vie même de Dieu. Ce cours d’eau s’appelle les béatitudes. Nous y trouvons un début, un milieu et une fin.
Au début de notre descente, nous découvrons une vérité fondamentale. Nous ne savons pas ce qu’est le bonheur. Nous sommes perdus comme si nous étions devant les planches d’un meuble Ikéa mais sans mode d’emploi. Alors nous tentons de faire sans. Selon ce qui nous paraît raisonnable, selon notre plaisir, selon nos vues : richesses, passion, philosophie de vie et même sagesse orientale etc. Mais le meuble paraît toujours bancale. Car deux processus s’opposent : soit nous lancer dans le bonheur et donc vers
Dieu sans Lui, soit accueillir le bonheur et notre perfection de celui qui est à notre origine et en qui réside notre fin. Ce dernier processus, l’Écriture nous cesse de l’enseigner : nous avons été créés pour être heureux ! Le terme se trouve 366 fois dans la Bible soit un par jour en comptant les années bissextiles.
Est déclaré heureux celui à qui Dieu fait grâce, dont Dieu fait toute sa joie. La première mention est celle de Léa qui attendait tellement son fils qu’elle appela Asher, bonheur, Makairiov ou Macaire en grec, Felix en latin. “Heureux est Israël d’avoir Dieu comme Berger” est-il écrit dans le Deutéronome.
Heureux celui qui habite la maison du Seigneur, qui a en lui son refuse, qui s’appuie sur Lui proclament les psaumes. Il s’agit donc pas de ne pas s’appuyer sur autrui mais de le faire au détriment du Seigneur
comme l’exprime Jérémie. Le Siracide l’avait anticipé avec force : « Jetons-nous dans les bras du Seigneur et non dans ceux des hommes ». Au début de cette descente, il s’agit donc de se jeter, dans un bonheur à hauteur humaine, mais dans le bonheur prévu de tout temps par Dieu.
Au milieu, nous y trouvons le moyen fondamental : la pauvreté. Saint Ambroise explique qu’elle est la mère des vertus car elle nous dégage de l’amour disproportionné de ce monde qui nous presse telle une
campagne publicitaire permanente pour nous éblouir en vue de nous faire perdre la vraie lumière. Elle est pour lui l’attitude spirituelle du vrai disciple, au cœur attentif et docile à la Parole. Le pauvre est celui
qui attend tout de Dieu, qui se reconnait dans le besoin jusqu’à la faim et jusqu’aux larmes. Tels les enfants. Le Royaume de Dieu appartient à ceux qui leur ressemblent. Ils dépendent entièrement de leurs parents ; comme nous, nous avons tout à recevoir de Dieu. Le pauvre est donc aussi celui à qui Dieu répond. Celui à qui il permet d’être saint, de grandir dans une perfection.
A la fin, nous y trouvons le Royaume de Dieu car nous y trouvons le Roi de nos âmes : le Ressuscité. Il a parcouru les béatitudes bien avant nous. Car au mont des béatitudes répond le mont du Calvaire. Il y a
l’enseignement d’un côté et sa pratique de l’autre. Jésus a réalisé les béatitudes sur la Croix. Privé par sa faute de la gloire divine, Adam se cachait, nu, honteux de sa faute. Dépouillé volontairement de sa
divinité, Jésus s’est mis à nu sur la Croix, exposé au banc des rieurs et des blasphémateurs, dans l’obéissance et l’offrande à son Père. Son cri suppliant « J’ai soif » résonne pour l’éternité en nos cœurs car il ne sera rassasié pleinement que par notre amour total et entier. Il a pleuré sur Lazare et sur Jérusalem, il a pleuré au jardin des Oliviers sur notre humanité si malade, si divisé, si désespéré, pour que, par Lui, nous
ayons accès au royaume sans pleurs, sans tristesse, sans haine, sans souvenir des fautes passées et des souffrances vécues. Il a connu et continue de connaitre la haine, l’exclusion, l’insulte, le rejet de son
nom. Il le vit en nous. Il le vit avec nous.
Au cœur des béatitudes, au plus profond de notre âme immergée dans l’Esprit, nous trouvons le Christ, le Crucifié qui a pris tellement la dernière place que personne n’a pu la lui ravir comme le disait Charles de Foucauld, le Ressuscité qui nous garde une place d’honneur auprès de Lui qui n’attend qu’un mot de notre amour et de notre foi pour nous y servir. Ce fut la joie du bon larron. Ce sera la nôtre.
Chers frères, chères sœurs : Christ est ressuscité ! Donnons-lui pleinement notre foi et notre amour et vivons en ressuscités, en hommes et femmes des béatitudes. Amen.
Écouter l’homélie :