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Jeudi Saint 2017

Frère Luc Devillers op

Jeudi 13 Avril 2017

St Jean 13.1-15

Saint Jean vient de nous rapporter le geste accompli par Jésus au bénéfice de ses disciples abasourdis : il leur lave les pieds. Dans quelques instants, la prieure de ce monastère va faire de même pour ses sœurs, et le frère qui préside cette eucharistie pour quelques-uns d’entre nous. Attesté dans le Proche-Orient, berceau de la Bible et de notre foi, ce rituel est ancien et d’origine profane. Il se comprend bien dans des pays où les routes sont poussiéreuses, et où les lois de l’hospitalité sont sacrées. C’est ainsi qu’Abraham accueille avec empressement les trois mystérieux visiteurs qui ont fait irruption devant sa tente : « Qu’on apporte un peu d’eau. Vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre » (Gn 18,4).

Souvent ce geste est accompli par un esclave, en faveur de son maître et de ses invités. Mais un fils peut vouloir exprimer ainsi son respect pour son père. Le roman juif Joseph et Aseneth, qui raconte la conversion de l’égyptienne Aseneth au Dieu d’Israël, la montre lavant par amour les pieds de son mari. Dans certaines communautés chrétiennes du premier siècle, avoir lavé les pieds des saints était un critère d’admission dans la classe des veuves (1 Tm 5,10). Le pape François a élargi tous azimuts la pratique du lavement des pieds, à l’égard de tous les êtres humains : hommes et femmes, enfants et personnes âgées, malades et handicapés, détenus et drogués, et même non-baptisés. Car Dieu aime tous les hommes et veut le salut de tous (cf. 1 Tm 2,4).

Mais jamais un maître, jamais un père, jamais un chef n’accomplissait ce geste au bénéfice de ses disciples, de ses fils, de ses subordonnés. Le scandale de Pierre est justement là : en prenant celle de l’esclave, son Seigneur s’est trompé de place. Mais Jésus lui répond : « Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur” et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (Jn 13,14). Nous devons donc nous laver les pieds les uns aux autres. C’est un ordre que nous avons reçu du Seigneur, comme celui de célébrer l’eucharistie « en mémoire de moi ». Ce rite, notre Église l’appelle en latin le mandatum, parce que Jésus, avant de déposer sa propre vie pour ses amis (Jn 15,13), leur a donné le commandement (mandatum) de l’amour mutuel : « Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34 ; et aussi 15,12). Le lavement des pieds est l’illustration parfaite du commandement de l’amour fraternel.

Cependant, en commentant son geste, Jésus parle d’exemple, et non de commandement : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13,15). Jésus nous donne donc un exemple ! Le mot passe mal. On imagine un faiseur de sermons moralisateurs, toujours prêt à vous « faire la morale » et à vous « donner le bon exemple ». Pourtant, sous la plume de Jean, le mot de Jésus n’a aucun rapport avec du moralisme pieux. En effet, à une ou deux exceptions près, Jean réserve l’emploi du verbe « donner » à ce qui vient de Dieu ; c’est un verbe de révélation. Notre Dieu est un Dieu qui donne et qui se donne.

Quand Jésus dit qu’il nous a donné un exemple, nous sommes invités à nous rappeler d’où nous venons et où nous allons : l’être humain créé à l’image et ressemblance de Dieu, fait pour la communion avec lui (cf. Gn 1,26-28). En nous lavant les pieds et en nous demandant de faire de même, Jésus nous rappelle que nous devons ressembler à Dieu. Non pas un petit dieu de panthéon antique, jaloux de ses prérogatives et avide d’honneurs, mais le Dieu vivant et unique, qui a un cœur de Père et des entrailles de mère (sa miséricorde). Un Dieu qui se met au service de sa créature, qui mendie notre amour ; un Dieu « en quête de l’homme » disait le philosophe et théologien juif Abraham Heschel. Accepter de nous prêter au jeu sacré et sérieux du lavement des pieds, c’est entrer en communion avec Dieu : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert », dit Jésus dans l’évangile selon Luc, juste après avoir inventé l’eucharistie (Lc 22,27) ; « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant », commente saint Irénée de Lyon, en ajoutant : « et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu ».

Avoir une foi à déplacer les montagnes et à livrer son corps aux flammes ne sert à rien, si cette foi n’est pas animée par l’amour (cf. 1 Co 13,2-3). Aimer les autres n’est pas affaire de beaux discours, mais de gestes concrets (cf. 1 Jn 3,18). Sacrement de l’amour, la Sainte Cène n’est pas séparable du geste que fit Jésus la veille de sa mort, et que nous allons maintenant revivre.

par Jésus au bénéfice de ses disciples abasourdis : il leur lave les pieds. Dans quelques instants, la prieure de ce monastère va faire de même pour ses sœurs, et le frère qui préside cette eucharistie pour quelques-uns d’entre nous. Attesté dans le Proche-Orient, berceau de la Bible et de notre foi, ce rituel est ancien et d’origine profane. Il se comprend bien dans des pays où les routes sont poussiéreuses, et où les lois de l’hospitalité sont sacrées. C’est ainsi qu’Abraham accueille avec empressement les trois mystérieux visiteurs qui ont fait irruption devant sa tente : « Qu’on apporte un peu d’eau. Vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre » (Gn 18,4).
Souvent ce geste est accompli par un esclave, en faveur de son maître et de ses invités. Mais un fils peut vouloir exprimer ainsi son respect pour son père. Le roman juif Joseph et Aseneth, qui raconte la conversion de l’égyptienne Aseneth au Dieu d’Israël, la montre lavant par amour les pieds de son mari. Dans certaines communautés chrétiennes du premier siècle, avoir lavé les pieds des saints était un critère d’admission dans la classe des veuves (1 Tm 5,10). Le pape François a élargi tous azimuts la pratique du lavement des pieds, à l’égard de tous les êtres humains : hommes et femmes, enfants et personnes âgées, malades et handicapés, détenus et drogués, et même non-baptisés. Car Dieu aime tous les hommes et veut le salut de tous (cf. 1 Tm 2,4).
Mais jamais un maître, jamais un père, jamais un chef n’accomplissait ce geste au bénéfice de ses disciples, de ses fils, de ses subordonnés. Le scandale de Pierre est justement là : en prenant celle de l’esclave, son Seigneur s’est trompé de place. Mais Jésus lui répond : « Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur” et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (Jn 13,14). Nous devons donc nous laver les pieds les uns aux autres. C’est un ordre que nous avons reçu du Seigneur, comme celui de célébrer l’eucharistie « en mémoire de moi ». Ce rite, notre Église l’appelle en latin le mandatum, parce que Jésus, avant de déposer sa propre vie pour ses amis (Jn 15,13), leur a donné le commandement (mandatum) de l’amour mutuel : « Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34 ; et aussi 15,12). Le lavement des pieds est l’illustration parfaite du commandement de l’amour fraternel.
Cependant, en commentant son geste, Jésus parle d’exemple, et non de commandement : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13,15). Jésus nous donne donc un exemple ! Le mot passe mal. On imagine un faiseur de sermons moralisateurs, toujours prêt à vous « faire la morale » et à vous « donner le bon exemple ». Pourtant, sous la plume de Jean, le mot de Jésus n’a aucun rapport avec du moralisme pieux. En effet, à une ou deux exceptions près, Jean réserve l’emploi du verbe « donner » à ce qui vient de Dieu ; c’est un verbe de révélation. Notre Dieu est un Dieu qui donne et qui se donne.
Quand Jésus dit qu’il nous a donné un exemple, nous sommes invités à nous rappeler d’où nous venons et où nous allons : l’être humain créé à l’image et ressemblance de Dieu, fait pour la communion avec lui (cf. Gn 1,26-28). En nous lavant les pieds et en nous demandant de faire de même, Jésus nous rappelle que nous devons ressembler à Dieu. Non pas un petit dieu de panthéon antique, jaloux de ses prérogatives et avide d’honneurs, mais le Dieu vivant et unique, qui a un cœur de Père et des entrailles de mère (sa miséricorde). Un Dieu qui se met au service de sa créature, qui mendie notre amour ; un Dieu « en quête de l’homme » disait le philosophe et théologien juif Abraham Heschel. Accepter de nous prêter au jeu sacré et sérieux du lavement des pieds, c’est entrer en communion avec Dieu : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert », dit Jésus dans l’évangile selon Luc, juste après avoir inventé l’eucharistie (Lc 22,27) ; « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant », commente saint Irénée de Lyon, en ajoutant : « et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu ».
Avoir une foi à déplacer les montagnes et à livrer son corps aux flammes ne sert à rien, si cette foi n’est pas animée par l’amour (cf. 1 Co 13,2-3). Aimer les autres n’est pas affaire de beaux discours, mais de gestes concrets (cf. 1 Jn 3,18). Sacrement de l’amour, la Sainte Cène n’est pas séparable du geste que fit Jésus la veille de sa mort, et que nous allons maintenant revivre.