Solennité de la Nativité du Seigneur 2015 - Nuit - C
Frère Hervé Jégou op
24 décembre 2015
Luc 1,67-79
Frères et sœurs,
Il s’en passe des choses en nuit cette sous le ciel de Bethléem !
Des choses toutes simples en apparence : une femme met au monde un enfant. Événement semblable à tant d’autres depuis le début de l’humanité, qui se produit des centaines de fois, chaque minute que Dieu fait, sur la surface de la planète, et qui se reproduira chaque jour, encore et encore, jusqu’à la fin du monde !
Événementdans lequel se joue le mystère de la vie, le mystère de la transmission de la vie, le mystère de ce don à chaque fois reçu comme un miracle. Mystère qui nous dépasse tous : la naissance d’un petit d’homme, qui fait qu’une femme devient mère, qui fait qu’un homme devient père !
Oui, il s’en passe des choses en cette nuit sous le ciel de Bethléem !
Des choses tendrement simples comme cette naissance donc, mais aussi des choses ô combien plus surprenantes. De drôles de choses même, pourrait-on dire. Car tout d’un coup, au dessus de ce petit village de Bethléem le ciel s’embrase, juste au dessus de la tête de ces pauvres bergers surpris au milieu de leurs troupeaux au plein coeur de la nuit. Alors la frayeur les prend. Parce que la nuit devient lumière, et que, dans le silence habituel de la belle voûte céleste, se fait entendre une voix. Quand dans la symphonie des étoiles résonne tout à coup la symphonie des anges.
Dans le ciel de Bethléem, hier comme aujourd’hui, dans tous les ciels du monde résonnent en cette nuit ces mots : « Je vous annonce une grande joie, aujourd’hui un Sauveur vous est né, qui est le Christ Seigneur … Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ! ».
En cette nuit le ciel regarde plus que jamais vers la terre et contemple l’un des siens qui s’est fait l’un de nous : le Verbe éternel du Père est devenu l’Enfant-Dieu, l’Emmanuel, Dieu-avec-nous.
Pour certain tout ceci n’est qu’un beau conte de Noël ou une histoire à dormir debout (surtout quand on la raconte si tard dans la nuit). A ce chant des anges faisait écho, il y a quelques années, une chanson emblématique de notre modernité : « Abderhamane, Martin, David. Et si le ciel était vide. Tant de processions, tant de têtes inclinées. Tant de mains pressées, de prières empressées. Tant d’Angélus qui résonnent, et si en plus y’a personne ! ».
Oui ce qui se passe en cette nuit n’est pas si simple, est tout sauf simple. Surtout quand on ne sait pas, quand on ne sait plus s’il y a « quelque chose » dans le ciel, comment imaginer, comment croire que la plénitude du ciel vient sur la terre en cette nuit ! En même temps que nait cet enfant dans la crèche de Bethléem naissent combien de questions !
Le ciel qui chante est-il enchanté ? Le ciel qui chante peut-il donné la note au chant de la terre ? Comment ce ciel qui chante peut-il tolérer les clameurs, les plaintes et les chants de détresses qui montent de la terre ?
Mais c’est justement pour apaiser et faire taire ces clameurs que le ciel chante. Mais il est vrai, je vous l’accorde, que ce n’est pas une symphonie fantastique mais une petite musique de nuit qui nous fait entrer dans la foi : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ».
Oui, avez-vous entendu : paix sur la terre. Le chant des anges nous ramène inexorablement au chant de la terre. Dans son amour infini Dieu vient se faire l’un de nous pour nous donner sa vie. Ce soir, Dieu prend le risque de l’histoire pour nous dire que, pour lui, la vie de l’homme est sacrée et qu’elle doit l’être aussi pour chacun d’entre nous ni nous voulons être de vrais disciples, de vrais croyants. Que l’homme est fait pour la vie et qu’il n’a pas le droit de la gaspiller, de la nier, de l’humilier ou de la supprimer.
Quand le cri de cet enfant ou son doux babil résonne dans la nuit de Bethléem c’est le chant de Dieu qui part, non pas à la conquête des étoiles, mais à la conquête du cœur des hommes pour détruire en nous toutes les forces qui veulent défigurer l’humanité. Bien avant Edith Piaf, Dieu avait des droits sur l’hymne à l’amour : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé ».
Dans ce coin de terre appelé Bethléem, aujourd’hui défiguré par un mur comme une balafre au visage de l’humanité, dans tous les coins du monde – et Dieu sait qu’ils sont nombreux – où l’homme est humilié, où le plus petit est toujours méprisé, où des innocents sont sacrifiés sur l’autel de la violence éternelle, le ciel chante en cette nuit : « Paix sur la terre ».
En devenant homme, Dieu vient nous révéler la beauté de l’humanité à laquelle il nous appelle. Non, vient-il nous dire, l’homme ne doit pas être un loup pour l’homme. En prenant la condition humaine Dieu vient nous dire que nous sommes tous frères et sœurs en humanité.
Il nous montre la route à suivre désormais. Le chemin de Dieu passe nécessairement par l’humanité et on ne peut suivre ce chemin – ou oser se dire sur ce chemin – en faisant une croix sur l’humanité (Dieu lui-même a assumé pour tous cette croix), en méprisant l’humanité, en dégradant l’humanité, en détruisant l’humanité.
Fragile dans une crèche, l’Enfant-Dieu prend le risque de s’en remettre aux mains des hommes pour nous révéler le visage de Dieu, pour nous révéler le visage de l’homme, lui le visage de la miséricorde du Père. Alors prenons le temps de contempler ce si beau mystère et marchons à sa suite sur les chemins de l’amour, de la justice et de la paix.
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ».