15ème Dimanche du TO - C
Frère Franck Guyen op
10 juillet 2016
Luc 10,25-37
Chers frères et sœurs, aujourd’hui, 15e dimanche du temps ordinaire de l’an de grâce 2016, nous entendons la parabole du samaritain. Le samaritain l’emporte sur le prêtre et le lévite pour le commandement de l’amour du prochain. Et pourquoi l’emporte-t-il, mes frères, mes sœurs ?
Le prêtre et le lévite voient le malheureux étendu par terre et passent leur chemin. Le samaritain voit la même chose qu’eux mais lui, par contre, ne passe pas son chemin. Et pourquoi ne passe-t-il pas son chemin ? Parce son cœur est ému de miséricorde. Voilà ce que veut Dieu, voilà ce qui lui plaît le plus.
Il n’y a pas qu’à Dieu que la miséricorde plaît, elle plaît aussi à l’humanité toute entière qui regarde l’homme incapable de miséricorde comme un personnage détestable, sinon comme un monstre. La grande histoire a gardé la trace de puissants qui ont exercé leur pouvoir sans miséricorde, et leur mémoire n’est pas chérie.
On en a un exemple dans la Bible avec Pharaon qui entreprend l’extermination des Hébreux. Le cœur ne peut que se serrer à entendre un programme qui n’arrête pas de ressurgir ici et là envers les minorités. Si c’est cela l’humanité, mérite-t-elle de vivre ? et si on est chrétien, on peut se demander si l’humanité vaut la peine que Dieu envoie son Fils sur la terre pour elle ?
Il est heureux que la même Bible nous donne en contrepoint de Pharaon l’exemple de sa fille : elle voit un bébé hébreu à la dérive sur le Nil, elle en a pitié – elle en a pitié – et elle le sauve. Cette femme a désobéi à une loi inhumaine, et ce faisant, elle a sauvé l’honneur de l’Égypte – non, ce n’est pas assez de dire cela : elle a sauvé l’honneur de l’humanité, voilà ce qu’il faut dure. Elle nous plaît, et elle fait partie sans aucun doute des femmes préférées de Dieu.
La miséricorde, un sentiment humain universel que Dieu éprouve lui aussi : la Bible nous le dit, Dieu a souci du pauvre qui a froid la nuit parce qu’on a gardé son manteau en gage, qui a faim parce qu’on a gardé son salaire de la journée. Dieu a souci de la veuve qui perd son procès contre un homme avec des connexions parce que la justice a été soudoyée. Dieu a souci de l’étranger immigré dont on a enlevé le passeport et qu’on asservit.
Selon moi, Dieu éprouve une autre miséricorde, celle-là moins évidente pour nous : la miséricorde pour le lévite et le prêtre. Qu’est ce qui rend si malade le cœur humain, qu’est-ce qui le pétrifie au point de devenir incapable de palpiter au malheur, à l’injustice qui s’abattent sur l’autre, proche ou lointain ? Qu’est-ce qui fait qu’on continue sa route, qu’on passe son chemin ? Qu’est-ce qui fait que le riche ne voit pas le pauvre mourant de faim à sa porte, qu’est-ce qui anesthésie ses sens – alors il n’entend pas, il ne voit pas – et son cœur – alors il ne ressent pas ? Mes frères et sœurs, cette question-là, le pape François nous la pose, et je crois que Dieu aussi se la pose, et qu’il pleure sans doute de voir une partie de l’humanité s’engager dans une voie sans issue, une voie qui ne mène pas au bonheur, qui ne mène pas à la vie éternelle.
Alors si tu aimes Dieu, tu ne peux pas ne pas porter son souci. Tu ne peux pas fermer les yeux sur ce que ton frère écrasé par terre attend de toi ; tu ne peux pas fermer les yeux sur ce que ne font pas le lévite et le prêtre à leur frère qui est ton frère. Tu ne peux pas, je ne peux pas, nous ne le pouvons pas. Pourquoi ? Parce que Dieu, notre Dieu, celui que nous voulons aimer de tout notre être, ce Dieu là le premier ne le peut pas.
Face à une création rendue malade de jalousie et de défiance, Dieu, dans ces temps qui sont les derniers, nous manifeste sa miséricorde en ouvrant une ligne de crédit infinie à l’hospitalier qu’est l’Église. Et quelle est cette ligne de crédit infinie, mes frères et sœurs ? C’est le côté ouvert du Christ sur la croix, d’où coulent le sang et l’eau. Oui, comme l’écrit notre pape François, le Christ est le visage de la miséricorde du Père.
Je conclurai par une prière : « Seigneur, je t’aime et je veux un cœur toujours plus accordé au tien. Aussi rends mon cœur toujours plus capable d’éprouver la miséricorde comme toi tu l’éprouves et pour cela, donne-moi de voir le monde comme ton Fils le voit du haut de la croix. Amen ».
vendredi 8 juillet : Matthieu 10, 16-23
Chers frères et chères sœurs, dans la page d’évangile d’aujourd’hui , le Christ prévient ses disciples qu’ils auront à subir l’hostilité. Mais qu’est-ce qui peut bien nourrir cette hostilité ?
Du point de vue théologique, je dirais que ce qui situe le peuple de la Bible à contrecourant, c’est la critique des idoles. On peut définir l’idole comme le reflet trompeur et sans substance de la réalité absolue, comme la vaine tentative d’enfermer la puissance divine dans une réalité de ce monde.
Fondamentalement, le geste idolâtre sert à s’auto-glorifier, à s’adorer soi-même au travers de représentations prétendant au pouvoir absolu. Le geste idolâtre est le refus de la dépendance au seul vrai et légitime détenteur du pouvoir absolu, celui que la Bible appelle Dieu. Le croyant fait brèche dans le dispositif idolâtrique en pointant son doigt vers l’extérieur du cercle de l’auto-complaisance, de l’autosatisfaction d’un peuple, d’une culture, d’un système politique, économique ou social.
Dans l’une des trois tentations au désert , Satan élève Jésus sur une hauteur d’où il peut dominer – du regard – tous les royaumes : « agenouille toi devant moi et je te donnerai le pouvoir absolu sur la terre » dit-il à Jésus. Mes frères et sœurs, Satan ment – mais n’est-ce pas ce qui le caractérise ? -, il ne fait que miroiter aux yeux de Jésus un pouvoir qu’il n’a pas en réalité. Satan se tient devant Jésus comme l’idole aux promesses creuses et vaines, mais qui a par contre une réelle capacité de nuisance, d’asservissement, de dégradation, d’aliénation. Jésus refuse de jouer à ce jeu de dupe, il dit cette parole qui a valu et continuera de valoir la persécution aux croyants : « tu n’adoreras que Dieu et à lui seul tu rendras un culte » .
La tentation idolâtrique dénature l’homme parce qu’elle dénature Dieu. Je ne suis pas loin de penser qu’elle se tenait déjà au début de l’histoire biblique : les propos mensongers du serpent ne transforment-ils pas en idole le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ? « mangez en et vous serez comme des dieux ». Et le fruit devient alors beau et désirable aux yeux d’Eve et d’Adam qui ont accepté d’entrer dans le jeu de dupes du serpent.
Au nom de l’honneur de Dieu et celui de l’homme, faire brèche dans les jeux de cour du pouvoir en circuit fermé, voilà ce qui peut valoir persécution au héraut de Dieu.
Mais comment le héraut pourrait-il éviter la persécution, lui qui a fait l’expérience de la brèche dans son monde quand, tout d’un coup, il a fait l’expérience au plus intime de lui-même de la présence de l’au-delà de tout, pourtant plus présent à lui-même que toutes les choses de ce monde ? Cette expérience crée une blessure dont on ne veut pas guérir, une blessure qui met à part : un germe spirituel est désormais enraciné en soi, la nature spirituelle a commencé à se déployer dans la nature psychique, à la transformer, à la recouvrir .
Et l’on devient comme étranger à la compagnie, on ne peut plus jouer aux mêmes jeux, on se met à aspirer à d’autres joies, d’autres atmosphères, d’autres parfums, d’autres ivresses plus larges, plus hautes, plus profondes. Et parfois l’ancienne compagnie s’en vexe, parfois elle y voit du mépris, de la condescendance et elle se fâche. Et quand elle y voit un crime de lèse-majesté, elle se fâche à mort. Elle a bien tort, mais elle ne le sait pas.
« Père, pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » . Il faut pouvoir le dire. Peut-être le souffle divin en nous pourra le dire.