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4ème Dimanche de Carême - A

Père Michel Mounier (Diocèse de St Etienne)

30 mars 2014

Jean 9,1-41

De naissance, l’homme ne sait pas où il va, ni comment y aller. Il tâtonne dans la nuit et heurte les pierres du chemin. Aveugle de naissance donc. Il fait parcourir du chemin pour parvenir à la lumière. Ce chemin nous ne pouvons le faire seul. Il nous faut l’affection, la sureté de ceux qui nous entourent. Il nous faut la parole qui nous emmène vers la lumière de la vie. Paroles d’hommes, Parole de Dieu, Parole de Dieu qui appelle à la vie et à la lumière dans des paroles d’hommes.
Nous sommes tous des non- voyants d’origine. Non par la responsabilité d’une faute immémoriale mais par l’humaine condition. Quelle terrible question que celle- là, qui vient du fond des âges : « Pourquoi cet homme est-il aveugle, est-ce lui qui a péché ou bien ses parents ? » Il faut un responsable. C’est la logique sans fin du bouc émissaire.
Quelle terrible réalité encore que celle de la peur, de l’instinct grégaire qui fait que les parents se désolidarisent de leur fils « nous ne savons pas. Il est assez grand pour s’expliquer. Ils parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des juifs. Combien de fois dans l’histoire ces mots n’ont-ils pas résonnés : on ne savait pas, on n’a rien vu !
Cet homme est aveugle. Mais pire encore. Y-a-t-il pire que d’être aveugle ? Oui parce que les autres sont aveugles. Il n’existe pas au regard des autres. Littéralement ils ne le voient pas. Quand il existe pour un instant, là à la porte du temple, c’est à l’état de question : à qui la faute ? Il n’est que prétexte. Combien sont-ils ainsi ceux que l’on ne voit pas ; qui sont là sans y être vraiment, dont on croit qu’on peut se passer sans que personne ne nous manque ni ne manque à la société. A l’Eglise même peut- être. Les sociologues les désignent du terrible mot : « les invisibles ».
Mais voici la nouveauté, la parole de Jésus : « personne n’est responsable ». La question est nulle et non avenue. Quelque temps plus tard elle sera clouée, une fois pour toute, au bois de sa croix. Une fois pour toute en espérance, tant nous n’en avons pas fini avec la logique du bouc émissaire et de la culpabilité.
Cet homme qui n’existe que comme souffrance et faute présumée, Jésus va prendre soin de son existence toute entière. Il le fait advenir à l’existence, il le fait naître. Il en fait un vivant d’une autre naissance, possible à tout âge et qui vient d’en haut
Mais peut-on vraiment naître à nouveau ? Cela, nos cœurs sont lents à le croire. Le récit évangélique les apprivoise. Pour nous aider à comprendre, Jésus, paradoxalement, rend l’homme plus aveugle encore. Il met de la boue sur ses yeux clos. Comme une nouvelle nuit sur sa nuit. A l’instar de nos nuits à nous, où plus aucun pas n’est sûr, où les ombres qui se dessinent font peur, où il fait froid de solitude. Nous sommes bien de la même pâte que le personnage de l’Evangile. Ce sera cette cécité au carré, façonnée par Jésus, qui est le chemin pour sortir des ténèbres. « Va te laver à Siloé ». Va, les yeux fermés vers l’Envoyé du Père, le Fils. Mais voilà, il faut d’abord croire, faire confiance, « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ».
Car la boue utilisée par le Christ est d’exception. Le Christ la pétrit à partir de la première poussière de la création. Mêlée au souffle de Dieu, elle fait homme et femme à sa ressemblance. L’homme né aveugle entre dans la lumière des fils du Père. Alors il voit au carré. Ses yeux peuvent admirer le ciel, son cœur peut contempler la vie même de Dieu. Il voit, de chair et d’esprit. De la chair de l’esprit.
Il voit. Mais autour de lui on ne voit toujours pas. Le malheur c’est de ne pas voir avec le cœur. C’est l’endurcissement des certitudes « serions- nous des aveugles nous aussi demandent-ils. Puissions- nous nous laisser guider, à travers nos obscurités, nos cécités, vers le Fils qui va se donner. Puissions-nous croire pour, enfin, voir.