Épiphanie 2019 C
P. Julien Dupont
Mt 2, 1-12
Je doute, mes sœurs, que vous ayez déjà vécu un « escape game » dans votre monastère… pourtant, cela est à la mode ! Des gens s’enferment dans un lieu donné pendant un temps donné ; et, grâce à des indices cherchent des réponses aux énigmes pour pouvoir « sortir ». Sans doute que Chalais serait porteur : des dominicains font de telles propositions dans nos églises de villes ! Plus sérieusement, je crois qu’Hérode aurait aimé ce genre de jeu. Inquiété par la question des mages, Hérode nous est montré comme celui qui débute une véritable enquête. Et pour se faire, il s’appuie sur des personnes : les chefs des prêtres et tous les scribes d’Israël. Eux s’appuient sur l’Écriture : « c’est de Bethléem, en Judée, qu’un chef sortira ». Puis il continue son enquête auprès des mages afin qu’ils lui donnent la date où l’étoile est apparue. Ici, Hérode est à l’image d’un enquêteur disons même d’un détective. Il réunit des indices, essaie de donner un sens à ces indices. Il cherche pour trouver ce qu’il a décidé de trouver.
A l’inverse, les Mages, eux, sont dans une autre attitude, une attitude de recherche : ils quêtent l’enfant Jésus, et leur quête n’a rien de basé sur une récolte d’indices. Personne ne sait même ce qui les a mis en marche… si ce n’est une étoile. Une simple étoile. Voilà ce qui interpelle l’évangéliste d’ailleurs Matthieu, à tel point qu’il insiste sur cet astre lumineux à quatre reprises dans cette péricope. Ensemble, arrêtons-nous sur chacune de ces quatre allusions.
« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’Orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
Rien n’est dit sur la manière dont les mages ont découvert cette fameuse étoile. Rien n’est dit non plus sur la manière dont ils associé cette étoile au titre messianique de « roi des Juifs » ! Et pourtant, cette attestation mystérieuse des mages, c’est-à-dire des païens d’alors, est d’abord là pour nous interpeller. Alors qu’ils ne scrutent pas indéfiniment les Écritures, eux ont vu clairement un signe de la présence de Dieu. Matthieu insiste dans doute pour dire que l’Evangile n’est pas réservé à une élite, et que toute personne de bonne volonté peut accéder à la connaissance de Dieu. Oui, Dieu se manifeste toujours, et à tous. Voilà le premier enseignement de cette Evangile, par l’étoile vue par les mages. Autrement dit, personne d’entre nous peut dire, aujourd’hui encore, que Dieu se cache, qu’il ne vient pas à notre rencontre, que nous sommes seuls : Dieu est celui qui se manifeste toujours, mais avec discrétion, dans éclats qui grandeurs (cf. 1 R 19, 12).
C’est en ce sens que l’évangéliste revient d’ailleurs sur l’étoile. « Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue. »
Si aucun renseignement précis n’est donné dans l’Evangile, Matthieu insiste sur l’historicité de cet événement. Dieu est venu dans un temps précis : au temps du roi Hérode, et lorsque cette étoile est apparue. Bien entendu, de nombreux chercheurs ont voulu comprendre avec précision cette vision céleste. Mais bien plus qu’une attestation, Dieu se manifeste dans le temps, et hors du temps. Comme le veut la Tradition, l’étoile est un lieu de manifestation de Dieu, comme l’eau changée en vin au jour de Cana et comme la voix du Père au jour du baptême du Christ (cf. antienne des vêpres de ce jour). Mais aujourd’hui encore, Dieu se manifeste à chacun de nous, par le pain et le vin devenu Corps et Sang du Christ, par sa parole, par les plus démunis d’entre nous…
« Voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. »
Matthieu va plus loin avec cette nouvelle attention à l’étoile. Si Dieu se manifeste toujours, et à tous, dans et hors du temps, Dieu se manifeste à travers la création. Cet épisode biblique en est une parfaire illustration. Voilà pourquoi l’Eglise nous enseigne de toujours respecter la création : elle est un lieu ou Dieu peut se manifester. Le pape François, dans son encyclique Laudato Si insiste beaucoup sur ce point, allant jusqu’à voir les implications concrètes et pratiques d’une telle théorie. Je le cite ici au § n°211 : « éviter l’usage de matière plastique et de papier, réduire la consommation d’eau, trier les déchets, cuisiner seulement ce que l’on pourra raisonnablement manger, traiter avec attention les autres êtres vivants, utiliser les transports publics ou partager le même véhicule entre plusieurs personnes, planter des arbres, éteindre les lumières inutiles. Tout cela fait partie d’une créativité généreuse et digne, qui révèle le meilleur de l’être humain. Le fait de réutiliser quelque chose au lieu de le jeter rapidement, parce qu’on est animé par de profondes motivations, peut être un acte d’amour exprimant notre dignité. » Tout ce qui concours au respect et à la sauvegarde de la création est un moyen ultime pour que Dieu se manifeste encore, ici et maintenant. N’oublions pas que s’il se manifeste dans la création, il se manifeste aussi dans les créatures… que nous sommes ! Le pape François développe très bien cela, mais je vous suggère aussi de re-lire Adolphe Gesché, qui dans son courage sur le cosmos (Dieu pour penser IV ; 1994). Dans un de ses écrits, il indique même que St François d’Assise réservait le mot « précieux » pour étoile et pour Eucharistie, y voyant la pleine manifestation de Dieu. Dans l’une et l’autre.
Enfin, Matthieu conclut son Evangile de la visite des mages en précisant que, « quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. »
Les mages l’ont vue depuis longtemps cette étoile. Ils la suivent. Mais là, précise l’évangéliste, ils la voient ! Ils confondent certainement l’enfant avec « l’Astre d’en haut », le « soleil levant » (Lc 1, 78) venu nous visiter. Ils sont incapables de voir l’enfant, mais ils voient l’étoile des étoiles. Cette attestation nous invite à voir que, dans la nuit, Dieu se fait lumière. Il nous illumine toujours. Là est la manifestation la plus flagrante du Dieu des chrétiens. Dieu se fait lumière dans nos obscurités (Is 60, 1-6). La lumière qui a fait levé les mages sur les sentiers des âges, la lumière qui resplendit dans leurs ténèbres et dans les nôtres, n’est autre que cet enfant, lumière des hommes et lumière du monde, astre d’en haut qui vient nous visiter.
Ainsi donc, en suivant nous aussi l’étoile, nous découvrons que cette fête de l’épiphanie nous permet de voir les différentes manifestations de Dieu. Oui, Dieu se manifeste toujours, à tous, dans le temps et hors du temps, dans sa création comme dans ses créatures. Autrement dit, Dieu ne cesse de se rendre visible à nos yeux, telle la lumière qui nous permet de voir ce qui est invisible. Ne cessons pas, comme les Mages, de le chercher. Il se laisse trouver (Is 55, 6)… N’ayons plus jamais à cœur de nous demander « où » est Dieu, mais de voir comment sa lumière s’est levée sur nous, ici, maintenant et à jamais. Amen.