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Mercredi des Cendres 2019

Fr Pierre Januard op

Quarante jours !

Quarante jours pour nous préparer à la résurrection du Christ. Quarante jours pour nous tenir en éveil, pour ne pas être endormis lorsque le Seigneur viendra faire toute chose nouvelle dans nos vies, pour ne pas manquer d’huile quand l’époux arrivera pour la noce. Quarante jours pour redécouvrir que nous sommes des êtres spirituels, que notre finalité est de voir Dieu dans la béatitude éternelle. Rien de moins ! Gardons le regard sur le but  en gardant le cap sans nous laisser distraire par le suivi médiocre et un peu désespérant de la liste des observances et de nos résolutions.

Quarante jours pour vivre, enfin, à la hauteur de qui nous sommes vraiment, des baptisés :

– Par le baptême, nous sommes membres du Christ et nous avons part à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi. Le prêtre : celui qui offre. Offrir à Dieu le sacrifice d’une vie sainte. C’est prendre part au sacerdoce du Christ que d’offrir à Dieu tout ce que nous faisons de bien et supportons de pénible. Aussi le carême est-il un temps de participation à l’offrande du Christ. Nous voyons alors que cela donne un sens inouï, si nous les vivons pleinement, à nos petites privations, qui sont bien peu de choses.

– Par le baptême nous sommes amis du Christ (« Je ne vous appelle plus serviteur mais amis », dit Jésus). L’ami, c’est celui qui sait ce que veut faire le maître. Bien souvent nous pouvons prier de manière machinale ou en restant centrés sur nous-mêmes, mais nous sommes appelés à beaucoup plus grand, à le regarder lui, le Christ, parce qu’il nous donne l’immense privilège d’entrer dans son secret. Cultivons le silence, le cœur à cœur avec le Seigneur. Prenons du temps pour regarder le Seigneur. Demeurez simplement avec lui, en méditant sa Parole, en regardant la croix, en admirant la création, en écoutant ce qu’il nous dit à travers les autres. Convertissons notre prière en nous intéressant plus au Seigneur qu’à nous-même. Parlons lui comme un ami parle avec un ami, pas comme un miroir… comme un ami, qui nous révèle son secret et sa volonté.

– Par notre baptême, nous devenons enfants du Père. Nous savons que souvent les enfants ont parfois du mal à partager, à prêter leurs jouets. Posséder nous sécurise. Mais en apprenant aux enfants à partager, les parents rassurent : leur présence est plus sécurisante que des jouets. Le Père nous apprend à partager et nous forcer à nous déposséder nous oblige à placer ailleurs notre confiance. La vie sociale fait que nous sommes qui nous montrons, nous nous identifions à nos signes extérieurs, que nous en soyons fiers (nos savoirs, nos pouvoirs, nos réussites), ou que cela reste une blessure comme nos échecs, nos sentiments d’infériorité. Le carême nous place devant une vocation beaucoup plus grande que tout cela : nous sommes fils et filles du Père. Cela nous suffit et nous pouvons tout partager, bien-sûr nos biens, et c’est le sens de l’aumône, mais aussi notre prière, en nous portant les uns les autres, notre charité aussi, en étant attentifs dans les petits détails du quotidien, en adressant des paroles de réconfort, d’encouragement, de reconnaissance à ceux qui nous entourent.

– Par le baptême, nous sommes temples de l’Esprit-Saint. Le carême est le temps de laisser enfin l’Esprit habiter en nous. Mais l’Esprit a une caractéristique qui souvent ne nous convient pas et que le « vieil homme » qui reste en nous essaye de canaliser par tous les moyens, c’est qu’il souffle où il veut. Nous disons parfois un peu à l’Esprit-Saint : « viens, mais surtout reste tranquille » : « viens m’inspirer de bonnes idées, aide-moi à pardonner, soutiens-moi dans ce que je dois faire », tout cela est bon ! Mais nous disons cela dans le cadre que nous lui fixons à l’avance. Nous voulons rester maître du jeu. Et si durant le carême nous laissions carte blanche à l’Esprit-Saint, nous lui faisons de la place, nous lui laissions les clefs de notre âme ? Si nous reprenions dans notre prière ces prochains jours, en essayant de la vivre pleinement, le Veni Creator ou la séquence de la Pentecôte ?

– Enfin par le baptême, nous entrons dans le combat spirituel, dans le grand combat, celui du Christ, qui nous dépasse. Dieu nous donne le privilège de prendre part à ce combat. Grande dignité que celle de l’homme que de participer à ce combat. C’est ce que nous rappelle l’oraison de la messe de ce jour. C’est le sens immédiat du carême mais il n’a de sens que dans la grandeur de notre vocation baptismale. Souvent notre vie quotidienne rend plus étroit notre regard sur le monde. Nous cherchons les causes immédiates, nous regardons notre péché ou le péché de telle ou telle personnes, nous regardons les événements du monde comme des faits divers ou des faits politiques humains. Mais le carême nous invite à prendre de la hauteur. L’auteur du mal, c’est Satan. C’est le diable, celui qui divise. Démasquons-le ! Le pape François, dans le chapitre V de La joie et l’allégresse sur le combat spirituel parle du diable à chaque page, il le nomme ! En repérant l’origine du mal, nous pourrons entrer sur un chemin de miséricorde les uns avec les autres en ne nous trompant pas d’ennemi. Aussi le jeûne, la prière et le partage sont-ils certes là pour notre conversion personnelle, pour travailler sur nous-mêmes, mais aussi pour prendre part au salut du monde, pour lutter contre le mal en nous et autour de nous. C’est une offrande que nous faisons à toute l’Église. Le pape souligne que le combat n’est pas un préalable, une étape, mais que c’est toute notre vie chrétienne qui est ce combat. Nous vivons pleinement notre baptême quand nous prenons les armes du jeûne et de la prière et que nous nous exerçons à la charité. Notre joie n’est pas à trouver ailleurs que dans ce combat. C’est là que Dieu se tient avec nous.