Neuvaine à St Dominique 2019
Fr Matthew Boland op Australie
1er Jour : 1ère manière de prier de Saint Dominique
Quand j’ai pris conscience que j’allais donner neuf brèves réflexions pour vous aider à préparer la fête de saint Dominique, j’ai pensé qu’une bonne façon de structurer cela serait d’utiliser les neuf manières de prier de saint Dominique comme point de départ pour chacune des réflexions. Juste pour rafraîchir nos souvenirs, la description des neuf manières de prier de Dominique a été écrite entre 1260 et 1290. L’auteur est inconnu, mais les souvenirs sont ceux de sœur Cécile qui était au monastère de sainte Agnès à Bologne. Elle a reçu l’habit de saint Dominique lui-même, donc nous pouvons être sûrs qu’il s’agit de descriptions précises de sa vie de prière.
Une autre brève remarque est de noter que les manières de prier de Dominique sont très ‘thomistes’. Comme nous le savons, saint Thomas était aristotélicien. Pour lui, l’âme n’est pas un fantôme flottant dans le corps, mais plutôt l’acte même du corps. Saint Thomas le décrit d’une manière très frappante quand il dit non pas que le corps contient l’âme, mais plutôt que l’âme contient le corps. L’âme, en déplaçant le corps, dispose elle-même à la dévotion. Saint Dominique, dans ses neuf manières de prier, nous enseigne que nous prions non seulement avec notre esprit, mais aussi avec notre corps.
La première façon de prier de saint Dominique est de se prosterner devant l’autel comme représentant du Christ. C’est une façon très dominicaine de prier. Comme nous le savons, nous nous inclinons devant l’autel quand nous entrons dans la chapelle et quand nous en sortons, et nous nous inclinons en l’honneur de la Trinité en disant la doxologie à la fin de chaque psaume comme Dominique nous l’a appris. Saint Augustin, qui occupe une place particulière dans l’histoire de l’Ordre, a écrit un long commentaire sur les Psaumes – deux fois plus long que sa Cité de Dieu. Tout au long de ce commentaire, il lit les Psaumes de manière christo-centrique et accomplis par lui. Il nous enseigne que dans les Psaumes, nous prions avec le Christ et, à travers lui, avec l’Église qui est son Corps. Qu’un psaume exprime la joie, la tristesse, la colère ou la louange – quelle qu’en soit l’émotion – nous nous joignons au Christ dans son séjour terrestre lorsqu’il vit ces émotions, comme à tous les membres de l’Église dans des situations similaires. La doxologie à la fin de chaque psaume est une reconnaissance. C’est par le Christ que se révèle la Trinité ; elle est le mystère central et fondamental de la Foi et de la vie chrétienne, et la source de tous les autres mystères de la Foi.
Le geste de s’incliner exprime aussi la vertu d’humilité. C’est un enseignement traditionnel dans l’Église que le premier péché, celui de Lucifer, était l’orgueil ; et aussi que c’était le péché de nos premiers parents, dont la désobéissance était ancrée dans l’orgueil. Il est donc approprié que la première manière de prier de Dominique soit de s’humilier soi-même. Selon saint Thomas, il y a deux vertus qui modèrent nos aspirations au bien. Il y a la vertu qui nous empêche de viser “trop bas”, et c’est la magnanimité. Cette vertu nous empêche de dire des choses comme : “Je suis inutile, je suis un perdant”, ce qui n’est pas vrai. Son contraire, la vertu qui nous empêche de viser “trop haut”, c’est l’humilité. Lucifer et nos premiers parents visaient certainement trop haut, dans la mesure où ils voulaient devenir des dieux. L’humilité, si vous voulez, garde les pieds sur terre. En fait, le mot ” humilité ” vient du mot latin humus qui signifie « terre ». Nous pouvons voir que la vertu de l’humilité, ainsi que sa contrepartie la magnanimité, n’est rien d’autre que la vérité. Comme st François a dit : « ce que je suis devant Dieu, c’est ce que je suis, rien de plus, rien de moins ». Nous avons besoin de nous voir tels que nous sommes.
Le plus grand défaut de l’humilité d’aujourd’hui est peut-être que nous ne reconnaissons pas combien nous avons besoin de Dieu, et combien nous sommes impuissants sans lui et sa grâce. Saint Dominique nous enseigne, dans sa première manière de prier, de nous humilier devant l’infinie majesté de Dieu, devant celui qui s’est humilié pour nous, à admettre la vérité qui est que nous avons besoin de lui, et à demander humblement son aide.
2ème Jour : 2ème manière de prier de Saint Dominique
La seconde manière de prier de saint Dominique est assez dramatique. Il se jetait par terre et se prosternait devant l’autel. Il cite des versets de la Bible comme celui de l’Évangile de Luc : « Ô Dieu, sois miséricordieux envers moi, pécheur » (Luc 18,13), et du Psaume 94, que nous utilisons souvent comme invitatoire qui dit : « Venez, adorons et tombons en prostration devant Dieu, et pleurons devant Dieu… ». (Psaume 94[95]:6).
Nous avons réfléchi hier sur le fait que notre relation avec Dieu commence par l’humilité, et que l’humilité n’est en réalité qu’une reconnaissance de la vérité sur nous-mêmes. Cela nous pousse à confesser cette vérité devant Dieu, qui est que nous sommes pécheurs. Comme le dit saint Paul dans sa lettre aux Romains, « tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Romains 3:21). Peut-être, il est difficile d’imaginer saint Dominique comme pécheur, après avoir lu les témoignages de sa vie et de sa sainteté, et pourtant il se sentait obligé de se prosterner devant Dieu et de demander pardon.
Il y a deux mots qui décrivent bien ce sentiment que Dominique affiche : « contrition » et « componction ». Le mot « contrition » signifie quelque chose comme « brisement de l’esprit pour avoir offensé », et vient d’un mot signifiant « être écrasé » ou « être broyé ». Componction a un sens similaire, mais vient d’un mot qui signifie « piquer sévèrement » ou « percer ». Cela nous rappelle le premier discours de saint Pierre, juste après la Pentecôte. Après avoir dit à la foule qu’ils ont « crucifié et tué » Jésus, Luc nous dit qu’ils ont eu « le cœur transpercé » et qu’ils se sont repentis, c’est-à-dire qu’ils se sont convertis à Dieu.
Nous avons tous eu ce sentiment de culpabilité et d’indignité à un moment ou à un autre lorsque nous avons senti la piqûre de notre conscience. Il y a deux façons incorrectes d’y faire face : la première est de se laisser écraser et de désespérer. L’autre est de l’ignorer jusqu’à ce qu’il disparaisse, et de se dire que « nous sommes bien comme nous sommes ». Évidemment, le meilleur chemin se trouve entre ces choix ; comme Dominique, nous devons reconnaître notre indignité et nous jeter dans la miséricorde de Dieu.
Un des meilleurs exemples est celui de la grande patronne de l’Ordre, Marie Madeleine. Bien qu’elle ait été dans des endroits très sombres, et qu’elle ait été possédée par sept démons, elle se jeta sur la miséricorde de Dieu. Comme Jésus l’a dit, la personne qui a été beaucoup pardonnée, aime beaucoup. Comme l’enseigne saint Thomas, à la suite de saint Augustin, Dieu permet le mal, seulement pour en tirer un plus grand bien. La croix en est le plus grand exemple. Le commencement de ce plus grand bien est la contrition et l’amour qui surgit dans nos cœurs lorsque nous nous repentons de nos péchés.
Imitons donc sainte Marie Madeleine et Dominique dans leur contrition. Que nous soyons de grands pécheurs ou de petits pécheurs, jetons-nous dans la miséricorde du Seigneur, en lui demandant de nous faire prendre conscience de quel poids nous avons été déchargés et de nous remplir de gratitude et d’amour. Si nous n’avons pas conscience d’un gros péché dans notre âme, jetons-nous devant le Seigneur au nom de ceux que Dominique appelait « les pauvres pécheurs » (« Que vont devenir les pécheurs ? », disait-il) et demandons Lui de leur donner des cœurs contrits, et dans son pouvoir infini de faire sortir un bien encore meilleur du mal qui a été fait, comme Lui seul peut faire.
3ème Jour : 3ème manière de prier de Saint Dominique
Il est peut-être providentiel que la troisième manière de prier de saint Dominique ait lieu un vendredi, traditionnellement le jour de la pénitence, puisque ce soir nous allons réfléchir sur la discipline que saint Dominique se donnait avec une chaîne de fer. Aujourd’hui, nous trouvons un peu choquantes les mortifications corporelles pratiquées au Moyen Âge. Surtout qu’avec notre plus grande connaissance de la médecine nous pouvons voir que certains saints ont pu nuire à leur santé et même ont raccourci leur vie par ces pratiques extrêmes. Cependant, on ne peut pas douter que ces pratiques sont venues d’un désir ardent de plaire à Dieu en reniant autant que possible tous les biens créés au nom de la source de toute bonté, qui est Dieu. Peut-être pouvons-nous penser ainsi aux pratiques ascétiques extrêmes du Moyen Âge : comme des choses à admirer, dont on peut s’inspirer, mais sans les imiter.
Même si nous n’imitons pas ces pratiques radicales, elles indiquent une vérité significative. Il s’agit de quelque chose qui a été mentionné dans notre première réflexion – le fait que nous sommes corps et âme. Bien qu’il y ait une profonde unité entre les deux, ils demeurent deux aspects différents d’une même personne humaine. Et l’âme humaine a quelque chose de spécial. Tandis que tout ce qui est vivant a une âme, ce qui est l’acte vivant de sa matière, seul les humains ont une âme spirituelle. C’est en vertu de ce caractère spirituel que nous avons un intellect et une volonté : des pouvoirs qui manquent aux autres créatures.
Saint Thomas a enseigné que le caractère spirituel de l’âme humaine nous rend à l’image et à la ressemblance de Dieu. Dans un sens, toute la création est à la ressemblance de Dieu, parce qu’elle reflète son être d’une certaine manière, dans la mesure où Dieu en est la cause. Mais seuls les êtres humains sont faits à la ressemblance et à l’image de Dieu. Ce n’est pas une image parfaite – Jésus est la seule image parfaite de Dieu – mais c’est la réalité spirituelle des êtres humains qui transcende toute réalité et nous distingue du reste de la création naturelle. Cela établit une hiérarchie dans notre nature et indique que notre bien-être spirituel a objectivement une valeur supérieure à notre bien-être physique.
Bien sûr, distinguer les membres d’une hiérarchie est toujours une affaire délicate. De nombreux groupes à travers l’histoire sont tombés dans le piège en considérant que la supériorité objective du spirituel implique que la nature physique est mauvaise. Nous voyons cela très tôt dans l’histoire de l’Église, en particulier dans l’hérésie du Manichéisme, qui dit que le corps est mauvais et seul l’esprit est bon. Cette hérésie est réapparue en Europe au XIIIe siècle sous le nom de Catharisme. Elle était également présente dans le sud de la France où Dominique l’a rencontrée. Les Cathares étaient tellement convaincus de la nature maléfique de la matière qu’ils interdisaient le mariage et considéraient comme un acte héroïquement vertueux de mourir de faim.
Évidemment, ce n’est pas l’approche catholique, et Dominique était complètement contre cette mentalité. Il est important de se rappeler que le catholicisme n’est pas une religion du « soit l’un soit l’autre », mais plutôt une religion de « l’un et l’autre » dans leur ordre approprié. Bien que le spirituel ait objectivement plus de valeur que le corporel, la nature physique est aussi une bonne chose. Nous pouvons le voir, par exemple, dans les délicieux biscuits qui sont produits ici dans le monastère. Mais surtout, c’est dans l’incarnation, quand le Fils de Dieu est devenu homme, corps et âme, que cela se voit le plus explicitement.
La difficulté est que le péché originel a bouleversé l’harmonie entre le corps et l’âme, ce qui complique notre situation. Après le péché originel, la chair n’est plus soumise à l’esprit comme son maître, mais se rebelle contre lui. Les pratiques ascétiques visent à réaffirmer la maîtrise de l’esprit et à travailler avec la grâce pour restaurer la perte d’harmonie qui résulte du péché originel.
J’espère qu’il est un peu plus facile de comprendre maintenant pourquoi les mortifications corporelles étaient si importantes pour la spiritualité du Moyen Âge. Pour nous, il est logique de coopérer avec la grâce en ce qui concerne la mortification, et d’imiter saint Dominique dans la mesure du possible, sans nier la bonté du corps, pour atteindre la maîtrise de la chair et pour nous préparer à entrer un jour dans la vie éternelle.
4ème Jour : 4ème manière de prier de Saint Dominique
Après avoir montré son humilité, sa contrition et son ascèse, Dominique entre dans un autre type de prière dans sa quatrième voie. Selon cette manière de prier, il faisait la génuflexion à plusieurs reprises devant l’autel et un crucifix, appelant le Seigneur par des demandes au nom des pécheurs, tout en citant des passages des Écritures comme il le faisait dans la seconde manière.
Il est intéressant de noter à quel point Dominique aimait la génuflexion. C’est une pratique qui est devenue moins courante au cours des dernières décennies. Quand j’étais jeune, c’était une habitude tellement enracinée chez les catholiques qu’on entendait parfois quelqu’un faire une génuflexion en entrant dans une rangée de sièges au cinéma ! Ce n’est pas si commun aujourd’hui, mais c’est une pratique de grande tradition dans l’Église, et même avec des précédents dans les Écritures. Dans le livre d’Isaïe, le Seigneur dit que tout genou fléchira devant Lui ; ce verset est cité par Paul dans sa lettre aux Romains, et fait aussi partie de l’ancien hymne trouvé dans sa lettre aux Philippiens, qui dit : “Au nom de Jésus, tout genou fléchira, au ciel, sur terre et sous terre”.
Le Pape émérite Benoît XVI, écrivant sous le nom de Joseph Ratzinger avant de devenir pape, dans son livre L’Esprit de la Liturgie, raconte une histoire frappante à ce sujet. L’une des paroles des Pères du désert raconte l’histoire d’un certain Abba Apollon, devant qui Dieu avait contraint le diable à apparaître. Abba Apollon a décrit l’apparence du diable comme laide et avec des membres effroyablement minces mais, le plus frappant de tout, il dit que le diable n’avait pas de genoux. Il est caractéristique d’un rebelle, dont le diable est l’exemple typique, de refuser de se soumettre à Dieu, c’est-à-dire de refuser de plier le genou. Saint Dominique donne l’exemple opposé dans sa quatrième manière de prier. Il nous enseigne qu’il est nécessaire de plier le genou devant Dieu – d’admettre qu’il est Dieu et que nous nous ne le sommes pas, et de nous soumettre à lui.
Mais cela n’entraîne pas de domination de la part de Dieu. Ayant fait plusieurs génuflexions, Dominique s’agenouillait alors devant l’autel et le crucifix. Pendant ce temps, à genoux, il parviendra à une union mystique avec Dieu qu’on peut deviner sur son visage, qui reflète une joie intense en essuyant des larmes de joie.
Nous pouvons voir que dans la vie spirituelle il y a des périodes de sécheresse, et il y a des moments où nous marchons dur le chemin de croix, symbolisé par les larmes de repentance de Dominique, pour lui-même et les autres, et ses pratiques ascétiques. Nous devons nous humilier devant Dieu.
Mais ça ne dure pas : Dieu vient rapidement à notre aide. Comme Notre Dame le dit dans son cantique du Magnificat, le Seigneur « renverse les puissants de leurs trônes, et il élève les humbles ».
Cela devrait nous donner le courage de persévérer dans les moments difficiles de sécheresse spirituelle. Comme il est dit dans le classique spirituel, l’imitation du Christ : “Quand la grâce de Dieu vient à l’homme, il peut tout faire, mais quand elle le quitte, il devient pauvre et faible, abandonné, pour ainsi dire, à la misère. Pourtant, dans cet état, il ne devrait pas être découragé ou désespéré. Au contraire, il doit attendre calmement la volonté de Dieu et supporter tout ce qui lui arrive dans la louange de Jésus Christ, car après l’hiver vient l’été, après la nuit, le jour et après la tempête, un grand calme.”
Cette expérience de ressentir notre impuissance pendant les périodes de sécheresse spirituelle, puis l’arrivée rafraîchissante de la grâce de Dieu, nous apprend à mettre toute notre confiance en Dieu et à nous souvenir des paroles de Jésus : “Hors de moi, vous ne pouvez rien faire”.
Alors imitons Dominique en confessant nos péchés, en faisant pénitence et en nous humiliant. Puis, nous attendrons d’en haut la grâce et la miséricorde de Dieu, qui ne manqueront pas de venir si nous mettons notre confiance en Lui.
5ème Jour : 5ème manière de prier de Saint Dominique
Dans sa cinquième manière de prier, Dominique se tient devant l’autel. Il tendait parfois les mains comme dans un livre ouvert. Il semblait avoir médité la Parole de Dieu en la lisant et en la récitant. C’était comme s’il pouvait voir la Bible devant lui. Je pense que c’est là une caractéristique merveilleuse de l’Église médiévale, à savoir leur capacité à mémoriser et à se familiariser profondément avec les textes qu’ils lisaient. En raison de la rareté et du coût des livres imprimés à l’époque, les érudits ont dû mémoriser une quantité incroyable de documents. On dit que Thomas d’Aquin connaissait par cœur la plupart des œuvres d’Aristote, les œuvres disponibles des Pères de l’Église, les Sentences de Pierre Lombard et toute la Bible Vulgate, sans parler d’autres œuvres. Cela représente des milliers de pages. Ce pouvoir de mémoire des gens de cette époque était particulièrement évident quant à leur connaissance des Écritures. Par exemple, si vous lisez saint Bernard de Clairvaux, ses œuvres sont pleines de citations et d’allusions aux Écritures.
L’ironie aujourd’hui, c’est que nous avons accès à pratiquement tous les textes que nous voulons, mais nous n’apprenons pas à en connaître beaucoup très bien. Saint Dominique et les saints nous inspirent par leurs incroyables exploits de mémoire pour nous familiariser avec les quelques textes qui valent la peine, surtout la Bible. Comme disait saint Jérôme : “L’ignorance de l’Écriture est l’ignorance du Christ.” Nous n’avons pas les compétences (ou le temps) pour mémoriser la Bible mot à mot comme ces grands saints, mais si nous pouvions vraiment intérioriser les Écritures en les connaissant, comme Bernard, Thomas ou Dominique, alors cela enrichirait beaucoup notre vie de prière.
Dans cette façon de prier, on dit aussi que Dominique levait les mains vers les épaules, les paumes vers l’extérieur, comme un prêtre le fait pendant la messe. Ce geste de prière est en fait très ancien, remontant aux temps précédant le christianisme. C’est ce qu’on appelle prier dans la position des “Orans”, qui est simplement le mot latin pour “priant”. Dans l’Église chrétienne primitive, des personnages bibliques, tels que Noé, Abraham et Isaac, étaient souvent représentés sur des tombes priant dans cette position, avec des demandes pour leur intercession afin d’obtenir la délivrance de l’âme de la personne qui y fut enterrée. Plus tard, de petites figures féminines dans la position d’ “Orans” dépeignirent l’âme du défunt quittant le corps et allant au ciel et intercédant pour ses amis et sa famille sur terre. L’une des représentations les plus célèbres est celle du martyr du IIIe siècle, saint Laurent, qui est représenté comme subissant la torture, tandis que son âme, sous la forme d’une figure féminine “Orans”, quitte son corps.
Le thème commun à tous ces exemples de prières dans la position d’ “Orans”, depuis les gestes du prêtre à la messe jusqu’aux représentations sur les tombes des saints, est l’acte d’intercession. Celui qui prie ainsi intercède le plus souvent pour les autres, et supplie en leur nom.
On peut y trouver deux leçons importantes. En tant que chrétiens baptisés, nos prières ont une grande valeur devant Dieu. En tant que membres du Corps du Christ, nos prières et nos sacrifices sont unis à ceux du Christ et contribuent à son intercession en faveur du monde devant son Père céleste. Cela fait partie de nos consécrations sacerdotales au moment du baptême. Comme le dit saint Pierre dans sa première lettre, “vous êtes comme des pierres vivantes construites comme un édifice spirituel, pour être un saint sacerdoce, en vue d’offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus Christ “. Cela nous aide aussi à comprendre cette étrange parole de Paul dans sa lettre aux Colossiens, quand il dit : “Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Église”. Nos prières et nos sacrifices, aussi petits ou cachés soient-ils, ont un rôle d’intercession qui obtient de vraies grâces. Sainte Thérèse de Lisieux l’a bien dit : “Ramasser une épingle pour l’amour de Dieu peut sauver une âme.”
Enfin, l’exemple de Dominique nous enseigne la puissance de l’intercession des saints, y compris lui-même, et nous encourage à les appeler à nous aider depuis le ciel. Dieu prend une grande joie à inclure les autres dans son œuvre de salut, sa Mère en premier, mais aussi tous les saints du ciel. Saint Dominique lui-même a dit, juste avant de mourir, qu’il nous serait plus utile et fécond dans le ciel qu’il ne l’était sur la terre. Prions-le donc d’intercéder pour nous devant le trône de Dieu, afin que nous soyons pour lui des fils et des filles dignes et fidèles à Dieu jusqu’à la mort.
6ème Jour : 6ème manière de prier de Saint Dominique
Avez-vous déjà pensé que nous nous concentrons un peu trop sur le caractère « gentil » des saints ? On pourrait même dire cela de Jésus. Nous entendons régulièrement parler des aspects aimables et miséricordieux de Jésus, mais pas aussi souvent du côté le plus intimidant de son caractère. On ne saurait trop insister sur sa bonté et sa miséricorde, ce n’est donc pas une erreur, mais il semble qu’il en résulte une image incomplète. Peut-être une autre manière de le dire est que nous perdons un peu de la crainte révérencieuse devant son mystère.
Je crois qu’il en est de même avec Dominique dans un certain sens. Nous soulignons la mesure dans laquelle il a été joyeux et aimable, à juste titre ; beaucoup, sinon tous les témoins de sa canonisation, ont mentionné ces aspects de son caractère. Il est clair qu’il a inspiré l’amour et non la crainte à ses contemporains. Cependant, il leur a aussi inspiré une admiration respectueuse, et c’est ce que nous voyons dans la manière de prier d’aujourd’hui.
Dans sa sixième manière de prier, Dominique se tient debout, les mains tendues en forme de croix. Il priait ainsi quand il demandait à Dieu une grande faveur. C’est ainsi qu’il a obtenu le sauvetage miraculeux d’une quarantaine de pèlerins anglais qui se noyaient dans une rivière et, par cette prière, il obtint la résurrection de Napoléon, le neveu du cardinal Stephen, et la résurrection du fils de la veuve. Certains peuvent douter de ces histoires. Cependant, ils sont relatés par des témoins très fiables, comme le bienheureux Jourdain de Saxe, homme très sensible. Et nous pouvons faire confiance au témoignage de sœur Cécile autant qu’à sa description des traits physiques de Dominique, qui pendant des siècles a été considérée comme sortant de son imagination ou imaginaire, jusqu’à ce que les scientifiques reconstruisent ses traits au XXème siècle et trouvent sœur Cécile très précise.
Mais, s’il est vrai, ce pouvoir d’intercession place Dominique dans une catégorie très rare parmi les saints. Bien qu’il y ait sans aucun doute d’autres saints qui ont ressuscité des morts, je ne peux penser qu’à Elie et Elisée de l’Ancien Testament, à saint Pierre et saint Paul, et à notre propre saint Vincent Ferrier. Ressusciter quelqu’un d’entre les morts d’une certaine manière est le miracle par excellence. Il reflète la propre résurrection du Christ et symbolise, par le retour à la vie terrestre, le don de la vie éternelle qui nous a été obtenue sur la croix. Ce n’est pas un hasard si Dominique a voulu refléter la position du Christ sur la croix en faisant cette prière.
Bien sûr, Dominique ne l’a pas fait par ses propres moyens. Ce pouvoir d’intercession indique plutôt sa conformité personnelle au Christ et est un signe de Dieu. Cette profonde union mystique de Dominique avec le Christ est ce qui a inspiré le respect de ceux qui l’entourent. En fait, sœur Cécile dit que, bien que les gens voulaient lui demander quels étaient les mots qu’il utilisait pour faire cette prière, ils avaient trop peur de l’approcher. Ce n’était pas une peur servile, mais en raison d’un certain émerveillement devant la profondeur de la relation de cet homme avec Dieu, de sa conformité mystique à son Seigneur.
Sœur Cécile mentionne aussi un détail intéressant. Bien que Dominique n’ait interdit à personne de prier de cette façon, il ne l’a pas davantage encouragé. Je pense que cela indique un aspect important de la vie spirituelle. Il y a beaucoup de choses dans la vie religieuse qui nous aident sur le chemin de la sainteté : la Règle et les Constitutions, l’encouragement et le soutien de la communauté. Mais l’abandon total au Christ, comme nous le voyons chez Dominique, ne peut se faire qu’à un niveau personnel. Après tout, c’est à chacun de nous de rencontrer le Christ et de s’abandonner vraiment à lui. Personne ne peut faire ça pour nous. Aucune formule, règle ou directive, bien qu’elle nous aide, ne peut le faire pour nous. C’est peut-être la raison pour laquelle Dominique est resté silencieux sur cette question.
Efforçons-nous donc de nous abandonner au Christ dans tous les aspects de notre vie et même de notre être, sans rien retenir, comme saint Dominique. Alors Dieu fera de grands miracles dans notre vie et dans la vie des autres, comme il l’a fait par saint Dominique.
7ème Jour : 7ème manière de prier de Saint Dominique
Dans la manière de prier d’aujourd’hui, Dominique nous encourage à l’imiter. Ainsi, nous descendons du mystérieux et impressionnant Dominique vers le “frère joyeux” que nous connaissons bien aussi.
Dans cette manière de prier, Dominique tendait les mains vers le ciel ; d’abord il avait les mains fermées ; ensuite, il les ouvrait comme s’il était entré au ciel et était sur le point de recevoir quelque chose. Pendant cette prière, il entrait dans un état d’extase. Cela n’était jamais très long, mais quand il est revenu, c’était comme s’il venait de très loin et semblait en quelque sorte être étranger à ce monde.
Il semble que Dominique recevait un avant-goût du ciel. Un peu comme saint Paul qui “connaissait quelqu’un” qui était pris au troisième ciel. Cela soulève une question intéressante : Toute cette concentration sur le paradis n’est-elle pas en quelque sorte un déni de cette vie ? Sommes-nous censés simplement “endurer” cette vie en attendant la “vraie” vie qui s’en vient ?
Le fait est que le contexte de l’éternité, plutôt que de rendre cette vie insignifiante, la rend d’autant plus importante. C’est au cours de cette vie que nous avons tracé la trajectoire de notre existence éternelle. Plutôt que de “supporter” cette vie en attendant le ciel, cette vie est notre occasion de façonner notre destinée éternelle. Les sages, comme saint Dominique, ne perdent pas une seconde dans leurs efforts pour profiter de cette opportunité. La personne qui vit avec l’éternité en tête, vit la vie la plus pleine. Comme St Irénée a dit : « La gloire de Dieu est l’homme vivant. » Et Jésus lui-même : « Je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante. »
Également, dans cette perspective, même les difficultés de la vie deviennent des opportunités. En fait, non seulement des opportunités, mais aussi des avantages. L’ethos chrétien bouleverse la perspective humaine. « Heureux ceux qui pleurent, ceux qui ont faim et soif, ceux qui sont persécutés à cause du nom de Jésus. » Ce sont ces gens qui vraiment choisissent la vie, parce que leurs sacrifices maintenant mèneront à un trésor dans le ciel qui durera pour toujours.
Quand Dominique revint de ces expériences extatiques, sa perspective avait, d’une manière ou d’une autre, changé. Il était comme un étranger dans ce monde. Goûter au paradis peut changer notre façon d’apprécier les choses. Demandons à saint Dominique d’intercéder pour nous afin que nous recevions ne serait-ce qu’un aperçu du ciel, pour que notre perspective soit changée et que nous que nous puissions voir les choses selon leur valeur réelle, à savoir, leur valeur éternelle.
8ème Jour : 8ème manière de prier de Saint Dominique
Dominique entrait souvent dans sa huitième manière de prier après avoir été inspiré par la récitation de l’office, ou même par la grâce après les repas. Je ne sais pas pour vous, mais je suis généralement inspiré de faire autre chose après les repas, ce qui implique de m’allonger ; mais j’ai l’intention d’essayer d’imiter Dominique davantage dans l’avenir. Pour lui, la prière n’était pas tant une obligation qu’un appel à approfondir une relation personnelle avec Dieu. Bien sûr, il y a une certaine obligation attachée à la prière, surtout pour les religieux. L’Office divin est une puissante intercession en faveur de l’Église et du monde, et Dominique lui a été très fidèle. Mais l’Esprit Saint inspira à Dominique de prier en dehors des temps prescrits.
Il existe de nombreux types de prière, mais la prière qui consiste à passer du temps seul avec Dieu pour développer notre relation avec lui est vitale pour notre vie spirituelle. Elle a été magnifiquement décrite par sainte Thérèse d’Avila, qui a dit : “Cette prière, à mon avis, n’est rien d’autre qu’un partage intime entre amis ; elle signifie prendre du temps fréquemment pour être seul avec Celui dont nous savons qu’il nous aime”.
Après avoir été ainsi inspiré, Dominique trouvait un endroit tranquille, dans sa cellule ou ailleurs, et commençait à lire quelque chose pour encourager sa dévotion. Parfois, il lisait les Écritures, mais pas toujours. Nous connaissons sa dévotion à la Bible, à laquelle nous avons réfléchi il y a quelques nuits, mais il est également important de noter qu’il est bon de lire aussi d’autres livres.
Après avoir lu pendant un certain temps, il passait de la lecture à la prière, de la prière à la méditation, et de la méditation à la contemplation.
Outre les Écritures, son livre préféré était les Conférences de Jean Cassien. Quand j’ai rejoint l’Ordre, j’ai été inspiré de le lire, mais pour être honnête, je l’ai trouvé à l’époque trop difficile.
Le fait est que ce qu’une personne trouve utile et inspirant n’est pas nécessairement la même chose qu’une autre. Il y a beaucoup de saints et de classiques spirituels et chacun reflète un aspect différent de la foi. Ce que chaque personne trouve attrayant dépend de choses comme le tempérament et le moment de la vie. Certains aiment lire la théologie, d’autres la vie des saints, d’autres encore des écrits comme les Confessions de st Augustin. Ce qu’ils tous ont en commun, c’est qu’ils nous aident à approfondir notre relation avec Dieu.
Alors, imitons Dominique dans la recherche d’une vie spirituelle qui favorise notre amour de Dieu, pour que, comme lui, nous passions bientôt de la lecture, à la prière, à la méditation et enfin à la contemplation de Dieu.
9ème Jour : 9ème manière de prier de Saint Dominique
La dernière manière de prier de Dominique était de s’égarer tout seul en voyageant à travers des régions désertes pour méditer et prier seul avec le Seigneur. Il y a un détail intéressant donné par Sr Cécile. Il avait l’habitude de faire le signe de la Croix de telle manière qu’il avait l’air de brosser les mouches. J’aime penser que c’est l’élément australien de l’histoire de Dominique. Au cas où vous ne le sauriez pas, l’Australie est pleine de mouches.
Avant de s’égarer seul, il citait souvent le prophète Osée, qui disait : “Je conduirai mon épouse au désert et je lui parlerai au cœur”. Je pense que cela exprime bien l’intimité de la relation que Dominique avait avec Dieu. Après tout ce à quoi nous avons réfléchi, une chose que nous pouvons dire avec certitude est que cet homme était un amant de Dieu, et un bien-aimé de Dieu.
L’amour de Dieu est intime et personnel, mais il n’est pas exclusif. La même relation profonde avec Dieu est disponible pour nous tous. Comme nous l’avons déjà dit, elle n’est pas toujours accompagnée de moments d’extase : il y a des moments de sécheresse et de souffrance ; mais nous pouvons être sûrs de la présence de Dieu à tout moment. Quand nous sentons qu’il est distant, il est bon de se rappeler la parole d’Augustin : “Dieu est plus proche de nous que nous ne le sommes de nous-mêmes”. Dominique a reconnu cette présence permanente de Dieu et l’a cherchée de toutes les manières sur lesquelles nous avons réfléchi, ainsi que beaucoup d’autres. Il est un exemple frappant de quelqu’un qui s’est efforcé d’accomplir le commandement suprême d’aimer Dieu de tout son cœur, son âme, son esprit et sa force.
Mais nous savons que ce n’est que la moitié du plus grand commandement. Il y a deux faces à la même pièce. L’autre moitié est d’aimer notre prochain comme nous-mêmes. Pour tout ce à quoi nous avons réfléchi : les mortifications de Dominique, ses extases, ses miracles, la plus grande preuve qu’il aimait Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit et de toute sa force, est qu’il aimait son prochain comme lui-même. Ce qu’on dit de lui est vrai : « comme il aimait tout le monde, tout le monde l’aimait ». Il n’aimait pas seulement ceux qui l’aimaient. Il aimait les pécheurs dont il se souciait tant, il aimait ses propres ennemis, et peut-être surtout les ennemis du Seigneur. Il avait un désir ardent de les amener tous, amis et ennemis, à la vérité que le Christ est Seigneur. Le Christ « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » C’est la preuve de l’amour de Dominique pour Dieu.
Donc, efforçons-nous d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toute notre force, comme Dominique. Alors nos prières, nos paroles et nos actions porteront leurs fruits comme les siennes, que ce soit dans de grands exploits que le monde entier pourra voir, ou dans des sacrifices cachés connus seulement de Dieu qui ne seront révélés qu’au dernier jour.