Pentecôte 2020 A
Fr Philippe Toxé op
Jn 20, 19-23.
Les images se bousculent au fil des pages de l’Ecriture Sainte pour parler de l’Esprit-Saint : Luc l’évoque comme une colombe, au jour du baptême de Jésus, mais, dans le récit des actes que nous avons entendu, il en parle comme d’un vent puissant et comme une sorte de feu qui se partageait en langues sur chacun des apôtres ; Paul en parle aux Corinthiens comme ce qui désaltère et nous rend capables de dire « Jésus est le Seigneur » et de former un seul corps ; et nous avons entendu saint Jean nous dire que Jésus ressuscité a soufflé sur ses apôtres pour leur donner l’Esprit-Saint, mais nous savons que cet évangéliste utilise ailleurs une image moins poétique, puisqu’elle est tirée de la procédure judiciaire, en désignant l’Esprit de Vérité comme le paraclet, consolateur et inspirateur des disciples de Jésus.
Alors : colombe, eau, vent, souffle, feu ou langues de feu, avocat-conseil ?
Les mots se bousculent et nous manquent pour dire l’expérience de ce cadeau, ce don, ce charisme, que Dieu nous fait, lorsqu’il nous donne son Esprit.
Pour nous en tenir aux Actes des Apôtres, les images évoquées nous font entrevoir qui est cet Esprit dont Jésus avait promis la venue à ses apôtres : le souffle d’un vent, la lumineuse chaleur d’un feu communicatif et l’inspirateur de la parole que les apôtres vont oser proférer.
Ce fut tout d’abord comme un violent coup de vent.
Ce n’est pas la première fois que la foi d’Israël a expérimenté ce vent de Dieu, ce souffle divin. Dès l’origine du monde, le souffle créateur de Dieu planait sur les eaux, c’est ce souffle divin qui redonne vie aux ossements desséchés : rappelez-vous ces magnifiques paroles d’Ezéchiel : « Viens des quatre vents, Esprit, souffle sur ces morts, et qu’ils vivent », alors « l’esprit vint en eux, ils reprirent vie et se mirent debout ! » (Ez 37, 9 – 10). Car l’Esprit est bien ce vent mystérieux dont l’homme ne peut connaître « ni d’où il vient, ni où il va », comme le disait Jésus à Nicodème, parce qu’il vient de Dieu et nous pousse vers lui, et que Dieu ne peut être connu par la seule chair, à moins qu’elle naisse à nouveau, qu’elle naisse de l’Esprit, justement. C’est un vent qui nous emmène sur des chemins où nous ne pensions pas aller, un vent qui peut disperser les disciples de Jésus jusqu’aux confins du monde, alors qu’ils pourraient penser qu’il est mieux de rester ensemble et plus prudent de rester confinés entre soi. C’est un vent qui balaie nos certitudes et nos sécurités si humaines, mais aussi un courant d’air qui balaie nos peurs et ouvre nos portes closes, celles de notre cœur comme celles de nos communautés.
Comme le vent, il ne se voit pas, mais on « entend sa voix ». C’est donc par son action sur les réalités visibles que nous devinons sa présence : la musique qu’il produit, le mouvement qu’il impulse. Et comme le vent, cet unique Esprit peut produire des sons et des mouvements variés à l’infini, selon l’objet ou le sujet qu’il traverse, comme la musique est produite par des instruments les plus variés, des grandes orgues au plus rudimentaire pipeau, lorsqu’ils sont traversés par l’air qu’on y insuffle. Les fonctions, les ministères, les activités sont variés, mais c’est le même Esprit qui fait l’unité du corps, nous disait Saint Paul. Et dans la vie de l’Eglise, depuis deux mille ans, il n’a cessé d’inspirer des manières nouvelles et variées de suivre le Christ, quand on pense à la diversité des ministères, à l’imagination débordante des charismes des ordres religieux et des mouvements ecclésiaux, et à la multiplicité des chemins de sainteté dans le monde. Mais il ne suffit pas que cela bouge ou fasse du bruit pour que ce soit inspiré. Et même si saint Luc a évoqué le bruit d’un violent coup de vent, l’action de l’Esprit ne s’identifie pas à l’extraordinaire, au fait d’être « dans le vent » ou de « s’agiter comme un roseau ». Car ce vent attise en nous le feu de la Charité, comme nous le dit le Veni Creator qui rapproche ces deux mots Ignis et Caritas, comme Saint Paul parlait de la charité de l’Esprit (Rm 15, 30).
L’évangile selon Saint Jean nous a dit que Jésus ressuscité souffle sur ses disciples et nous proclamons notre foi en l’Esprit vivifiant, vivificantem, qui donne la vie. Car ce vent est aussi le souffle de Dieu, le souffle du Christ, une haleine qui nous communique la vie de Dieu, qui nous fait aspirer vers Dieu, qui nous fait respirer Dieu. Pour ceux d’entre nous qui avons été baptisés avant les réformes liturgiques et les gestes barrières, le prêtre a soufflé sur nous, pour chasser les esprits mauvais et surtout signifier le pouvoir sanctificateur de l’Esprit de Dieu, comme Jésus a soufflé sur ses disciples pour leur donner son Esprit et les envoyer en mission. Nous sommes comme ces corps inanimés qui ont besoin de la spiration divine pour revenir à la Vie : « Dieu insuffla dans les narines de l’homme, un souffle et l’homme devint un vivant ! » (Gn 2, 7).
L’inspirateur d’une parole.
Les disciples se mirent à parler à des gens de langues différentes. Si Luc souligne cette diversité des langues, c’est parce qu’il sait bien que nos paroles humaines sont une arme fort puissante, qui peuvent détruire et blesser par le mensonge et les injures, et diviser les hommes. Depuis Babel, les barrières linguistiques sont le symbole le plus parlant des incompréhensions et des conflits qu’elles peuvent susciter.
Mais ce qui est extraordinaire avec cette parole qu’inspire l’Esprit, c’est qu’elle ne détruit ni ne divise, mais qu’au contraire, elle fait naître la communion entre ceux qui l’entendent, sans méconnaître leurs différences. Et il ne peut en être autrement : si l’Esprit qui les inspire est l’Esprit de Dieu, c’est Esprit qui est la communion d’amour du Père et du Fils, sans confusion, alors il produit en nous les mêmes effets, il nous fait entrer non pas seulement en relation mais en communion les uns avec les autres.
Nous qui avons reçu le baptême, nous qui demandons en chaque fête de Pentecôte et bien d’autres fois, d’être renouvelés dans l’Esprit, laissons-nous cet Esprit nous souffler la parole qui convient, qui unit, qui pardonne, qui loue et qui aime, tant dans notre prière que dans nos relations fraternelles ou notre témoignage de prêcheur ? Sommes-nous attentifs à cet inspirateur de notre vie ? Et que nous souffle donc cet Esprit, que nous inspire-t-il, que fait-il monter au fond de notre cœur ? Il nous souffle la prière vraie, puisqu’il nous fait entrer dans une relation filiale envers Dieu, ce Dieu qui a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie « Abba », Père (Rm 8, 15).
Alors, si l’Esprit a ce rôle si essentiel que ces diverses images ne font qu’évoquer, s’il nous introduit dans l’intimité de Dieu, s’il est cette puissance intérieure qui met nos cœurs au diapason du cœur du Christ et nous pousse à aimer nos frères comme le Christ les a aimés et à leur annoncer la Bonne nouvelle du salut, nous ne pouvons que souhaiter l’accueillir en nous, nous laisser inspirer par lui, le laisser nous parler, nous révélant qui nous sommes pour Dieu, le laisser féconder nos efforts, pour que nous produisions le fruit que le Seigneur attend de nous, c’est pourquoi, nous avons raison de demander que l’Esprit créateur vienne nous visiter et nous renouveler, pour que la Résurrection du Christ transforme notre vie, pour que sa Pâque s’accomplisse en nous. Amen.