2ème Dimanche de Carême B
Fr Grégoire Laurent Huyghues Beaufond op
Mc 9. 2-10
D’un feu […] près de s’éteindre, une dernière flamme fuse, illuminant les choses pour nous les révéler infiniment autre que ce qu’on avait cru. C’est par ces mots que le poète P. Jaccottet, qui vient de mourir, évoque dans une de ses proses, une lumière aperçue, et sa puissance de révélation soudaine : D’un feu […] près de s’éteindre, une dernière flamme fuse, illuminant les choses pour nous les révéler infiniment autre que ce qu’on avait cru1. Le poète parle certes de tout autre chose que de la Transfiguration, mais cela pourrait bien convenir à la scène de ce jour : un feu qui va s’éteindre – c’est bientôt la Pâque – mais auparavant, il y a cette lumière inattendue qui révèle Jésus infiniment autre que ce qu’on avait cru. Et, parce que cet infiniment autre, c’est l’infinie altérité de Dieu, une frayeur saisit les trois apôtres. Car, oui, on peut avoir peur de Dieu – c’est une chose courante dans la Bible : la crainte de Dieu, la crainte que l’on éprouve de sa proximité – peur, parce que : sa lumière est dangereuse à nos obscurités ; peur, parce que : la puissance de sa vie est dangereuse à tout ce qui, en nous, nous porte vers la mort.
Devant un tel événement, de lumière et d’effroi, on ne sait pas quoi faire, on ne sait pas non plus quoi dire. Les uns, Jacques et puis Jean, se taisent ; Pierre est d’un autre caractère. Il ne sait que dire ni que faire, alors il dit en apparence n’importe quoi, mais il propose quelque chose. N’importe quoi mais quelque chose, et surtout : tout, plutôt que cet effroi. Peut-être c’est une manière pour lui d’absorber le choc, manière pour lui de dire que : « je suis là » ; manière d’affirmer : « ce qui se passe, à l’évidence, je ne le comprends pas, mais ce qui se passe, je sens, je sais que je suis concerné ». Lorsque Pierre parle apparemment n’importe quoi, c’est, je crois bien, une manière de dire son désir confus. La réaction de Pierre, ce serait peut-être quelque chose comme : « Ce qui se passe, cette lumière, venue d’où ? Cette conversation des 3 prophètes, je sens que c’est aussi pour moi, que j’y ai ma place. Laquelle ? Je ne sais pas. »
Sans doute en proposant de faire trois tentes, il se trompe un peu ; mais il a raison dans son désir, raison de croire qu’il peut être plus qu’un simple spectateur. En effet, la nuée les couvre tous de son ombre : dans le NT, c’est un verbe qui désigne l’action de l’Esprit Saint. Alors, la voix du Père désigne le Fils et nous révèle son beau nom d’amour. Voilà qu’on est passé des 3 prophètes – Moïse, Élie et Jésus Christ – aux trois Personnes de la Trinité ; et ce qui se révèle sur la montagne, c’est l’Amour qui les unit. Ce qui se révèle aussi, sur la montagne, c’est que, dans l’ombre de l’Amour, nous avons notre juste place, juste notre place, et que l’on peut la désirer.
Pour recevoir la place qui nous est offerte, il faut, nous dit le Père, il faut bien écouter le Fils. Et que dit-il, en descendant de la montagne ? Il dit qu’il y a résurrection morts. Ce n’est pas une nouvelle énigme qu’il propose, c’est une manière de dire ce qui vient de se passer. La Transfiguration du Christ est le signe, l’annonce et la promesse de la Résurrection, la sienne et puis la nôtre.
Dans ressusciter des morts, il y a : des morts. Et on pourrait avoir tendance à n’entendre que cela, à s’y arrêter, à être fasciné par cette mort inéluctable. On pourrait être tenté de croire que la mort, c’est la fin de toute vie humaine, et donc, de toute vie, même chrétienne. Peut-être ce serait le rôle de la liturgie, un carême après l’autre, de nous apprendre que le dernier mot, ce n’est pas mort, mais c’est ressusciter ; de nous persuader – peut-être nous sommes lents à convaincre – de nous persuader que le dernier jour, ce n’est pas le vendredi saint, mais le dimanche de Pâques ; que le dernier signe, ce n’est pas la croix, mais le tombeau vide ; que notre Seigneur, c’est le Crucifié -Ressuscité. Sans doute est-ce le but même de l’existence, une année puis une autre : nous apprendre que notre vocation c’est d’être bien vivants, d’amour et de lumière, que notre vie humaine, c’est d’apprendre à ressusciter une mort après l’autre. Dans le poème que j’évoquais, Jaccottet se demande : et si quelque chose comme cela suffisait pour sortir de la tombe avant même d’y avoir été couché ? Nous le disons et nous le célébrons à chaque eucharistie, que l’espérance c’est : « demain, je sortirai de tombe ; avec le Christ et grâce à lui, j’aurai ma juste place dans la lumière de L’Amour. Demain, je l’espère ou veux le croire, demain je ressusciterai. » Mais ressusciter, c’est un verbe que l’on peut conjuguer au présent, chaque matin, dans notre quotidien. Ressusciter, c’est demain : je sortirai de tombe, après y avoir été couché. Mais cette espérance pour demain, ressusciter, c’est aujourd’hui que ça se passe : aujourd’hui que nous sortons de la tombe, avant d’y être totalement entrés.
Chaque matin peut être matin de Pâques. Qu’est-ce que cela veut dire, ressusciter des morts ? Qu’est-ce que cela veut dire, selon ce que nous sommes, les circonstances et la santé. Ressusciter, pour citer une dernière fois Jaccottet, pour certains, ce sera : ne pas donner toute sa place au malheur. Ressusciter : ne pas s’abandonner entièrement à la colère ou bien à l’amertume. Un simple sourire, avec les yeux puisque l’on porte un masque ? Ressusciter … Une main qui caresse plutôt que de frapper : ressusciter. Ressusciter : pleurer avec, consoler et être consolé et rire de nouveau ensemble. Ressusciter : s’asseoir à une même table et rompre un même pain ; être attentif à tous les signes de beauté et de bonté en nous et puis autour de nous – et ils sont plus nombreux qu’on ne veut parfois le dire ou bien le croire. Ressusciter : peut-être plusieurs fois par jour, choisir lucidement et décider, farouchement, que le péché et que la mort n’ont pas en nous le dernier mot.
Résurrection, c’est communier à la lumière entr’aperçue sur la montagne. Ressusciter, c’est demander ce qui nous manque pour la vivre : tendre l’oreille et puis la main au bien-aimé, entendre la parole de sa vie, manger son pain du jour. Ressusciter, c’est recevoir ce qui nous est offert sans nous être jamais dû : la vie, l’amour, la gloire du Père, du Fils et de l’Esprit. Ressusciter : cela peut être difficile ou bien couler de source, cela peut être effrayant ou bien nous être très paisible. Quoiqu’il en soit, ressusciter : c’est notre vocation du quotidien parce que c’est notre espérance pour demain. Ressusciter, en somme, c’est vivre et témoigner de cet amour reçu dans la hauteur ce matin – que nous vivions ici ou que nous descendions de la montagne.