Close

31ème Dimanche du To B

Fr Maxime Allard op

Commandements ?

Mt 5, 1-12a

« Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » (Dt 6)… « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. » (Mc 12).
Écoute ! Écoutez, écoutons tous ensemble, en communauté, parce que nous sommes rassemblés. Écoutons, vous, moi, toi et toi, chacune, chacun individuellement parce que cet impératif « Écoute » ne doit pas seulement résonner entre nous, mais en chaque personne, résonner en profondeur.
Avant d’agir, de faire quoique ce soit, il importe donc d’écouter, de désirer écouter, de le vouloir, de prendre le temps et les dispositions pour écouter. Car c’est un commandement : écoute!
On pourra vouloir dire, rapidement, beaucoup trop rapidement que nous écoutons, ce dimanche, des « commandements ». Mais le seul verbe à l’impératif que j’entende c’est ce : « Écoute »… Suis-je sourd ?
Alors, j’écoute. Et j’entends, comme vous : Tu aimeras… Tu aimeras…. Tu aimeras. J’écoute. Je tends l’oreille mais aucun impératif n’y parvient, n’y résonne. Tu aimeras, c’est un futur, de l’avenir. J’entends donc quelque chose comme une prophétie : un jour viendra et ce jour-là tu aimeras…. Dans le futur, à l’avenir, demain et après-demain, on te verra aimant, car tu aimeras. On nous verra aimer, nous aimer. Cela ressemble à un constat annoncé à l’avance. Moïse, Jésus et le scribe se font prophètes. Les croyez-vous ? Croyez-vous que demain on pourra nous voir nous aimant ? J’entends cette prophétie comme j’écoute celle d’Isaïe  annonçant un monde de concorde : «  Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer. »
J’entends donc une prophétie. J’entends aussi percer un désir, poindre une espérance. Un peu comme si le « tu aimeras » devenait alors : ce serait si beau, si bien, si évangélique, si chrétien, si humain, si demain déjà tu aimais, si je te voyais aimer, si aimer ne nous était plus pénible, difficile ou répugnant pour n’avoir pas été aimé. Je le désire pour toi, pour moi, pour nous, pour tous. Et j’espère que vous pourrez partager mon désir et en vivre. Peut-être que s’il y a du désir, la prophétie a des chances de se réaliser…
J’entends, au cœur de la prophétie, une espérance un peu folle. Mais ni Moïse, ni Jésus ni le scribe ne sont des illuminés farfelus, des rêveurs déconnectés de la réalité. S’ils désirent faire entendre cette prophétie, s’ils répercutent cette espérance et la répètent, c’est qu’ils jugent qu’à force de nous la faire écouter, nous y entendrons une demande, une supplication presque impérative. Le « tu aimeras » se transforme alors en « je t’en prie, aime ! Ne te retiens pas, aime. Ose aimer. Ose te laisser aimer. Entends mon cri, mon appel à aimer »… La prophétie débordant d’espérance devient incitation, requête, impulsion, avance, invitation. Mais devons-nous, pour autant dire que nous entendons là un commandement auquel obéir ?…. Le devons-nous surtout si habituellement un commandement résonne à nos oreilles tel un « Marche… Ferme la porte! Obéis, sinon… » ? Certainement pas.
Vous le sentez bien, ce n’est pas là que la Parole de Dieu nous suggère d’aller, ce n’est pas son ton, son registre, sa manière. Au mieux, je dirais que la Parole de Dieu mande, demande…
Le « Tu aimeras » réitéré ainsi dans la liturgie de la Parole d’aujourd’hui se distingue d’une autre activité. Aimer s’oppose à un autre geste. Étrangement, aimer n’est pas opposé à détester, à haïr, à abuser ou à instrumentaliser. Aimer « vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. » Voilà l’intuition géniale du scribe inspiré sur le porche du Royaume… La prophétie remplie d’espérance, la prophétie porteuse d’une demande énonce une préférence, une échelle des valeurs, si vous voulez. Dieu préfère… Il aimerait bien que nous préférions aimer à faire boucherie religieuse! Il a tant et tellement préféré cela que son Fils a mis fin par l’offrande de sa vie au besoin, à la compulsion des sacrifices religieux. Il compatit et intercède pour ceux et celles qui ont entendu la préférence de Dieu, qui peinent sur le chemin de l’amour ou qui cherchent à y marcher le mieux possible… Dieu dit sa préférence en se répétant, en mettant sa parole sur les lèvres de Moïse, de Jésus, son Fils, et de ce scribe anonyme…. Il voudrait mettre sa préférence au fond de nos cœurs pour que jaillisse de nos lèvres, de siècle en siècle : « Écoute… Tu aimeras… j’aimerais que tu aimes… S’il te plaît, aime… » Il demande que nous nous le répétions pour y croire, en y croyant, pour qu’à force de répétition cela nous fasse imaginer commencer ou recommencer à aimer…
D’accord. Bon. Aimons donc. Oui… Mais quoi ? Qui ? Pas nécessairement mon homélie, ni la messe, ni l’Église… Permettez-moi de répéter l’Écriture, la réponse y est limpide : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » (Dt 6)… « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force… Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. » (Mc 12).
Vous avez entendu. Que ce soit Moïse, Jésus-Christ ou le scribe qui le dise, la réponse est claire. Rendons grâce pour l’écoute de la Parole de notre unique Seigneur. Rendons grâce car, en Jésus-Christ, une fois pour toute, cette Parole se fait nourriture pour que nous l’entendions de l’intérieur, des profondeurs de nos désirs et que nous vivions d’elle.