4ème Dimanche de l'Avent C
P Michel Mounier
Lc 1, 39-45
Nous entendons ces jours ces récits merveilleux qui ont enchanté notre enfance mais qui peuvent paraître aujourd’hui plus invraisemblables les uns que les autres. Nous ne savons pas bien parfois comment les lire et les entendre. Nous les entendons alors que nous vivons à l’heure du soupçon systématique, à l’heure des fake-news , des théories du complot. Mais, si nous nous ouvrons à eux, ils viennent nous subvertir, nous retourner. Ils nous proposent d’accepter le saut le la foi. Accepter de passer du soupçon à la confiance. Le saut qu’a fait Marie, sans hésitation nous dit l’évangile.
Marie, regardons-la. Il y a toujours une pluralité de lectures possibles de l’évangile, il est livré à notre lecture, pour peu que ce soit en Église. D’habitude, j’aime lire dans ce récit qu’à peine enceinte, Marie se met en route. Et qu’en elle, c’est Jésus qui tout juste conçu commence à parcourir les routes de Palestine.
Mais aujourd’hui, je décale un peu le regard. On peut aussi penser qu’une fois passée l’exaltation de l’annonciation, Marie sent le besoin de prendre un peu de recul, de distance, et que sa visite à sa cousine Elisabeth tient peut-être plutôt de l’ordre de la demande d’asile. Car tout ceci est quand même bien lourd à porter. Rappelons-nous il n’y a pas si longtemps, chez nous, la stigmatisation de celles qu’on appelait les filles-mères, honte de leur famille et mises au ban de la vie sociale, et de l’église. Remettons-nous aussi en mémoires nos pudeurs pour partager quelque chose de notre relation intime avec Dieu. Que peut bien dire Marie de l’expérience qu’elle vient de vivre ? Ne vaut-il pas mieux se taire ?
Oui bien-sûr se taire. Seulement voilà, pour Marie son ventre parlera bientôt pour elle. Qui va la croire, qui va croire qu’elle est tombée enceinte sur parole, sur La Parole ?
Bienheureuse Elisabeth. Son acte de foi est aussi extraordinaire que celui de Marie. Comment ne pas se rappeler Abraham et la promesse qui lui est faite d’une immense descendance, promesse incroyable. Au-delà des mots quelque chose en Marie lui a parlé. Il est vrai qu’elle pouvait laisser parler son expérience, elle qui a retrouvé son mari muet au retour du Temple… N’a-t-elle pas pensé que les mots qu’il ne disait plus n’étaient pas pour quelque chose dans la tournure inattendue que prenait son ventre. Force de la parole, la Parole entendue pour Marie, la Parole retenue pour Zacharie et Elisabeth. N’est ce pas cette expérience qui l’a ouverte à l’inattendu, à l’invraisemblable ? Qui l’a faite sortir des parcours programmés. Elle est tout accueil.
Combien nous est-elle précieuse ! Comme une grande sœur nous invitant à nous détourner de nos aveuglements, de nos soupçons, de nos fermetures pour nous abandonner nous aussi à l’accueil. Il y a tant de beauté, tant de merveilles autour de nous si nous savons regarder. Mais nous avons peur, peur d’être naïf, peur de nous faire avoir.
C’est un combat que l’évangile nous invite à mener. Sans naïveté bien sûr, mais résolument. Refuser de soupçonner tout et tout le monde. Accepter le risque de la rencontre. Sur le seuil de nos rencontres, une seule question mérite d’être posée : l’autre, celui qui se fait proche de moi, porte-t-il une part d’humanité et pourquoi pas des prémices d’évangile ? C’est vrai pour chacune et chacun de nous. C’est vrai pour l’église et chacun de nos groupes et communautés. C’est vrai pour toute la société. C’est vrai pour l’Europe que François appelle à sortir du naufrage de civilisation qui fait de la Méditerranée un cimetière sans pierre tombale.
Oui, bienheureuse Elisabeth qui reconnaît heureuse celle qui vient à elle avec ses peurs peut être, ses fragilités. Bienheureux serons-nous si l’esprit convertit nos peurs et nos méfiances pour accueillir Celui qui vient à nous. Comme Abraham accueillit avec hospitalité les trois hommes inconnus à Mambré, c’était Dieu qui le visitait. Comme Elisabeth accueille Marie, c’est Dieu en personne qui la visite.